Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Du LU au square Daviais, chronique des mobilisations pour l’hébergement des étrangers à Nantes (2012-2018)

par Julien Long

planche publiée le 29 janvier 2021

Avec la régionalisation de la demande d’asile dès 2006 puis la fermeture des plateformes départementales en 2012, les demandes d’asile augmentent de 157 % en Loire Atlantique entre 2009 et 2011. Après les espoirs déçus du quinquennat de F. Hollande, des collectifs regroupant diverses organisations de la cause des étrangers occupent successivement des interstices urbains de l’espace nantais. La ville accueillante se dessine dans la succession des cycles d’occupation/expulsion de la période 2012-2018.

Septembre 2012 – mai 2014 : Un Toit pour Tou.te.s !

1 En septembre 2012, le collectif « Un toit pour tou-te-s  » appelle à manifester et à réquisitionner des bâtiments vides. Après la courte occupation du foyer Gustave Roch (figure 1), le collectif s’installe au premier étage du Lieu Unique le 10 octobre. Dans un communiqué, l’association Droit Au Logement (DAL 44), membre de ce collectif, indique qu’après des semaines de mobilisations et de vaines négociations, le collectif a décidé de « réquisitionner une partie du Lieu Unique pour continuer la lutte et obtenir des résultats ».

Figure 1 - Les lieux de l’hospitalité informelle pour les étrangers à Nantes entre 2012 et 2018

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2 Espace « assistanciel » pour des familles étrangères, le LU devient également le cœur d’une mobilisation contre « toutes les expulsions », alors que l’opération César entend expulser les habitants de la ZAD Notre-Dame-des-Landes (futur aéroport) le 16 octobre. Dix jours plus tard, le LU est à son tour expulsé. En réaction, le collectif occupe la Manufacture, de nouveau expulsée. Pendant l’automne 2012, les manifestations « un toit pour tou.te.s » essaiment dans la ville (photo 1) et cette mobilisation entraine la réquisition des anciens locaux de la Protection judiciaire de la jeunesse rue de Crucy. Le squat est rebaptisé le « Radisson Noir », allusion au projet d’hôtel de luxe dans l’ancien palais de justice. Après avoir obtenu un répit, ce lieu de vie informel accueillant une centaine de personnes est évacué en mai 2014.

Photo 1 - Un toit pour tou.te.s occupe les remparts du château, Samedi 10 novembre 2012

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Crédit photo : photo sans titre publiée sur Indymédia, par Jack Palmer, le 10 novembre 2012

Mai 2014 - novembre 2017 : « Un toit c’est un droit ».

3 Après l’expulsion, le collectif investit des locaux vides rue des Stocks à Dalby. Le 30 juillet 2014, les 70 occupants sont expulsés et le bâtiment rasé. Un nouveau collectif, Collectif de soutien aux expulsé-e-s de la rue des stocks, occupe un ancien presbytère au Vieux Doulon à partir du 23 août. Après le Radison Noir, le squat de Doulon permet de combler les carences des politiques sociales pour les étrangers. Il sera expulsé le 22 novembre 2016.

4 Entre 2014 et 2017, plusieurs lieux vacants sont détournés de leur usage ordinaire pour accueillir des étrangers en très grande précarité. En 2015, le collectif Mineurs Isolés Étrangers est créé et occupe à son tour des squats pour héberger les mineurs à la rue. Au cœur du traitement médiatique en Europe, la question de « l’accueil des migrants  » s’inscrit alors à l’agenda politique municipal. De la photo du jeune enfant kurde retrouvé mort sur une plage turque et qui a fait le Une de la presse internationale à l’attentat au Cocktail Molotov contre un squat de Chantenay, les mobilisations s’enchainent et s’allient avec d’autres mouvements sociaux – contestations de la Loi travail, Nuit debout – et s’invitent même aux commémorations de l’abolition de l’esclavage en mai 2015 (figure 2).

Figure 2 - Le 10 mai 2015 Angela Davis, invitée par la ville, devient une figure tutélaire de la lutte pour les étrangers à Nantes

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Ici la couverture d’un livret rédigé par le Collectif de soutien aux expulsé-e-s de la rue des stocks.

Novembre 2017 – printemps 2018 : Expulsions, réactions !

5Le 18 novembre 2017, l’ancienne école des Beaux-Arts est occupée pour héberger des mineurs non accompagnés en recours. Le lieu est rebaptisé « Univers Cité » et sa revendication parodie la communication municipale (figure 3). La mairie demande son expulsion le 19. En réaction et dès le lendemain, des salles de cours de l’université sont occupées par des mineurs étrangers à la rue, puis c’est au tour du Château du Tertre de l’université.

Figure 3 - Tract de revendication de l’occupation des Beaux-art détournant la communication municipale

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6 Le 7 mars 2018, la police évacue ces lieux après l’échec des conciliations avec l’Université. Le lendemain, le « Comité de Réquisition et d’Action Nantais » (CRAN) occupe un ancien EHPAD pour accueillir des exilés à la rue (photo 2). Des élus écologistes parviennent à stopper l’expulsion lancée par la préfecture. La maire Johanna Rolland déclare dans Libération le 9 mars que « L’accueil des migrants est une responsabilité collective. […] J’ai décidé de ne pas demander le recours à la force publique », autorisant l’occupation jusqu’à la fin de la trêve hivernale. Le 31 mars, alors que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est de nouveau menacée d’expulsion, une manifestation « contre toutes les expulsions » réunie plus d’un millier de personnes.

Photo 2 - Itinéraire d’occupations de la ville : des beaux-arts vers la préfecture ?

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Banderole affichée sur l’EHPAD occupé.

Crédit photo : publiée sur la page facebook du CRAN le 2 avril 2018

Printemps – automne 2018 : Gouverner par l’évacuation ?

7 Le 27 mai 2018, un incendie se déclare dans l’EHPAD occupé. Le lendemain, la préfecture reprend la main sur le dossier et bloque l’accès au lieu. Un nouveau cycle d’occupation/expulsion s’ouvre à l’été 2018. Le 10 juin, le bâtiment de l’ancienne minoterie de Cap 44, à proximité de la carrière Misery, est occupé par 150 personnes et expulsé quelques jours plus tard. Le 19 juin, c’est l’ancien institut de formation de la Persagotière qui est occupé puis évacué le 28 juin. Au même moment, un campement informel se monte square Davais, initié par l’association « Afrique Loire », lors de la semaine panafricaine, qui « assume sa responsabilité et salue la solidarité multiforme qui se manifeste ». Expulsé, puis réinvesti après la brève occupation du Lycée Leloup-Bouyer, le square Daviais devient le lieu de vie de 500 personnes, principalement des demandeurs d’asile dans l’attente d’un hébergement. Le 20 septembre, le square Daviais est expulsé et ses habitants acheminés vers des gymnases de la ville.

8L’itinéraire des occupations précaires et informelles des hors-lieux de la métropole impose aujourd'hui un débat sur la ville accueillante, pour dépasser les cycles d’occupations et d’expulsions, pour héberger plutôt que mettre à l’abri.

Pour citer ce document

Julien Long, 2021 : « Du LU au square Daviais, chronique des mobilisations pour l’hébergement des étrangers à Nantes (2012-2018) », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 29/01/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=541, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.541.

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Bibliographie

Cousin G. et Legros O., « Gouverner par l’évacuation ? L’exemple des « campements illicites » en Seine-Saint-Denis ». Annales de géographie , n° 700, 2014, p. 1262-1284. https://doi.org/10.3917/ag.700.1262

Coûtant I., « Le lycée, les migrants, le quartier, les habitants ». Plein droit , n° 115, 2017, p. 15-18. https://doi.org/10.3917/pld.115.0015

Babels , Entre accueil et rejet : ce que les villes font aux migrants , Lyon, Le Passager clandestin , 2018.

Pette M., « Les associations dans l’impasse humanitaire ? » Plein droit , n° 104, 2015, p. 22-26. https://doi.org/10.3917/pld.104.0022

Boubeker A. , Abdellali H., Histoire politique des immigrations (post)coloniales : France, 1920-2008 . Paris, Éditions Amsterdam, 2008.

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Julien Long

Doctorant en histoire contemporaine, Université de Nantes, EA 1163 Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA)

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Résumé

Avec la régionalisation de la demande d’asile dès 2006 puis la fermeture des plateformes départementales en 2012, les demandes d’asile augmentent de 157 % en Loire Atlantique entre 2009 et 2011. Après les espoirs déçus du quinquennat de F. Hollande, des collectifs regroupant diverses organisations de la cause des étrangers occupent successivement des interstices urbains de l’espace nantais. La ville accueillante se dessine dans la succession des cycles d’occupation/expulsion de la période 2012-2018.

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