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La ville nocturne accueille au quotidien des usages et protagonistes multiples et soulève ainsi des enjeux portant sur la mobilité, la sécurité, la culture, le lien social ou la santé. À Nantes, elle est l’objet d’une politique spécifique depuis la création en 2016 d’un conseil de la nuit par la municipalité. Si ce dispositif s’inscrit dans un contexte européen de concurrence métropolitaine, il résulte également d’une mobilisation de la société civile pour faire reconnaitre la nuit et ses enjeux auprès des pouvoirs publics.
La naissance d’une gestion institutionnelle dans un contexte de métropolisation
1À partir de 2010, différents dispositifs prenant « en charge » la question nocturne émergent dans les villes européennes. Ce sont d’abord les « chartes sur la vie nocturne » qui se démocratisent, en tentant de résoudre les conflits entre les riverains et les bars. Apparaissent également des « maires de nuit ». Vus comme des médiateur.rice.s entre les usagers de la nuit et les politiques, ils peuvent être élus par les citoyen.e.s et exercer au sein de la société civile en coopération avec les municipalités, comme à Amsterdam, ou bien être nommés directement par les pouvoirs publics comme à Londres. La mise en place d’un « intermédiaire » dédié au sujet peut également passer par la création d’un conseil de la nuit comme ce fut le cas à Genève, devenue un modèle en la matière.
2Cette mise à l’agenda de la question nocturne par les pouvoirs publics fût ainsi rendue nécessaire pour faire face à des conflits d’usages à l’échelle locale, mais s’inscrit également dans un contexte de compétition entre les grandes villes européennes. La nuit constitue ainsi une ressource pour développer l’attractivité touristique et culturelle des métropoles. Il s’agit donc pour ces dernières de résoudre les problèmes de nuisances et les conflits d’usages, d’aménager les transports et l’espace public, de trouver des solutions à l’insécurité et de développer l’offre culturelle.
Conflit nocturne et société civile : l’émergence locale du conseil de la nuit
3 À Nantes, des années 1990 à 2014 (figure 1), les actions municipales dédiées à la nuit se traduisent essentiellement dans une lutte contre les nuisances sonores et l’alcoolisation, notamment des jeunes, faisant suite à la mise en place d’une Commission des débits de boisson, d’une Brigade de contrôle nocturne et de divers arrêtés municipaux. Parallèlement, et dans un contexte de métropolisation croissante, la municipalité développe son offre culturelle et réaménage ses espaces publics, avec la piétonnisation du centre-ville, mais également avec le projet de l’île de Nantes, notamment le Hangar à Banane ouvert en 2007.
4 Ces deux processus, souvent contradictoires - contrôler la vie nocturne vs la développer - amènent différents acteur.rice.s à se mobiliser et à entrer en conflits pour défendre leurs intérêts. Dès 1999, les gérant.e.s de bars s’organisent et créent le « collectif culture Bar-bar » pour faire face aux difficultés des établissements à survivre aux différentes lois et arrêtés sur l’alcool et les lieux musicaux. Les riverain.e.s, pour leur part, se mobilisent vers 2010, face aux aménagements de l’espace public qui accentuent, selon leurs points de vue, la vie nocturne et ses nuisances. Jusqu’en 2014, ces deux fronts interpellent alternativement la municipalité par des pétitions et lettres ouvertes. 2013 est une année de rupture, la tension entre les riverains et les bars est telle que la mairie est forcée de trouver des solutions de médiations et d’apaisement sur la question nocturne.
Figure 1 - Une chronologie nantaise entre conflits locaux et métropolisation
5 C’est donc en 2013, sur fond de conflits et de contrôles nocturnes grandissants, que des acteur.rice.s de la nuit, notamment Culture Bar-bar, organisent l’élection de deux maires de la nuit officieux. En 2014, ces derniers animent le débat « Quelles nuits pour Nantes ? ». Ils se saisissent alors du scrutin municipal pour réclamer la création d’un conseil de la nuit et pousser les trois candidates du second tour à se positionner sur le sujet. Pensé à l’image d’autres conseils citoyens et consultatifs déjà existants à Nantes (handicap, égalité homme-femme), Johanna Rolland confiera ce nouveau conseil, en place en 2016, à Benjamin Mauduit, désormais maire officiel de la nuit.
6Depuis cette date, un certain nombre de diagnostics et d’actions ont été menés par le conseil de la nuit, en partenariat avec la société civile et la mairie. Des ateliers sur les publics fragiles de la nuit (SDF, travailleur.euse.s du sexe) ont été réalisés. Des réflexions ont été menées sur les transports et la sécurité en partenariat avec les services municipaux de sécurité et de tranquillité publique, mais également avec le collectif culture Bar-bar dans le cadre des « cafés citoyens ». Des expérimentations sur l’aménagement de l’espace public ont été faites avec les uritrottoires et la « Station Nocturne » au square Daviais, et une promotion d’évènements culturels a également été menée à travers l’appel à projets « Les Temps de la nuit » (figure 2).
Figure 2 - Aménager la ville nocturne : des actions spatialisées et concentrées dans le centre-ville
7 Pourtant, lors des municipales de 2020 , le sujet de la nuit est réapparu uniquement sous l’angle de la sécurité, avec la proposition d’une « maison de la nuit » ou les débats sur les effectifs policiers. Sur fond d’une crise sanitaire qui a largement mis à mal les établissements culturels et festifs, ainsi qu’un enchainement d’évènements marquants comme l’expulsion des migrant.e.s Square Daviais ou l’affaire Steve Maia Caniço, l’absence du conseil de la nuit dans les débats interroge. Alors que sa création avait permis en 2014 de donner la parole aux acteur.rices de la nuit et d’ouvrir des discussions sur la vie nocturne, son rôle apparait aujourd’hui ambigu. Est-il uniquement un outil de plus dans le développement touristique et culturel de la métropole ou bien peut-il devenir un véritable espace politique de réflexion et de dialogue sur les cadres législatifs et urbains de la nuit à Nantes ?
Pour citer ce document
Jeanne Leman, 2021 : « L’émergence d’une politique nocturne à Nantes : la nuit en débat ? », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 14/01/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=519, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.519.
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Bibliographie
Leman J ., Fugue, décorticage de la nuit urbaine contemporaine à travers le cas Nantais , mémoire de fin d’études (dir. Vigne M., Barbe F.), ENSA Nantes, 2018. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01996422
Leman J., Quartiers de seconde couronne, une approche renouvelée des villes moyennes. Enquête sur trois quartiers non centraux de la ville de Cholet , mémoire de master 2 (dir. Ozouf -Marignier M.V., Fernandez B.), EHESS, 2020.
Walker E., Quand la ville ne dort pas : s'approprier l'espace-temps hypercentral nocturne par et autour de l'usage récréatif. Les exemples de Caen et Rennes. (Pour une approche aussi sonore des rapports sociaux de proximité), Thèse de géographie, Normandie Université, 2018. https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02012499/
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Résumé
La ville nocturne accueille au quotidien des usages et protagonistes multiples et soulève ainsi des enjeux portant sur la mobilité, la sécurité, la culture, le lien social ou la santé. À Nantes, elle est l’objet d’une politique spécifique depuis la création en 2016 d’un conseil de la nuit par la municipalité. Si ce dispositif s’inscrit dans un contexte européen de concurrence métropolitaine, il résulte également d’une mobilisation de la société civile pour faire reconnaitre la nuit et ses enjeux auprès des pouvoirs publics.
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