Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Retour sur le paysage municipal nantais en 2014

par Jean Rivière

planche publiée le 11 février 2020

Avant les échéances municipales de 2020, un retour sur le scrutin précédent permet de dessiner les grands traits du paysage électoral observé à Nantes en 2014. L’élection avait été marquée par une très forte abstention et par la victoire, au second tour, de la liste de rassemblement conduite par J. Rolland. Quelques jours plus tard et par un drôle de paradoxe, le maire sortant souvent considéré comme un artisan du renouveau nantais, J.-M. Ayrault, devait démissionner de son poste de Premier Ministre en raison de la défaite enregistrée par la gauche au plan national.

1Lors du scrutin municipal nantais de 2014, l’offre électorale était structurée en dix listes lors du premier tour (figure 1). Une typologie des bureaux de vote permet de proposer une vision synthétique des résultats en huit profils-types (figure 2), tout en décrivant sommairement les caractéristiques de leurs habitants grâce au recensement de la population de l’INSEE (tableau annexe). Le fait de centrer le regard sur les clivages qui traversent l’espace municipal nantais offre une vision complémentaire des lignes de force électorales observées à l’échelle de Nantes-Métropole lors l’élection présidentielle de 2017.

Figure 1 - Le rapport de force électoral à l’issue du 1er tour des municipales 2014 à Nantes (en % des inscrits)

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Des suffrages exprimés qui révèlent un paysage électoral sans grande surprise

2Le premier profil (A1) correspond aux espaces de la bourgeoisie nantaise acquis de longue date à la droite, et où les principales listes de droite sont les mieux implantées. C’est dans ces bureaux que la part des cadres, des habitants de 65 ans et plus et des propriétaires de leur logement est la plus forte. Dans leur périphérie immédiate (A2), cette domination des listes de droite est moins marquée et associée à de bons scores de la liste Chiron. Ces quartiers sont aisés mais moins que les précédents, et leurs habitants sont plus jeunes et arrivés récemment dans leur logement. Avec les bureaux du groupe A3, les surreprésentations de la droite s’estompent et s’accompagnent de scores meilleurs pour la liste portée par J. Rolland. Leurs habitants sont plus des professions intermédiaires que des cadres, un peu plus âgés aussi. Ces quartiers péricentraux sont en effet des secteurs de transition avec des mondes urbains plus populaires.

Figure 2 - La mosaïque électorale des bureaux de vote nantais

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3Localisés notamment autour de Chantenay ou sur l’île de Nantes, les bureaux B1 sont ceux où le total des listes de gauche est le plus fort, en particulier pour les listes emmenées par P. Chiron et G. Croupy. Dans ces anciens quartiers populaires en cours de gentrification depuis la fin des années 1990 (la part des classes moyennes et supérieures y dépasse à présent la moyenne nantaise), le pourcentage d’habitants de moins de 40 ans est le plus important de la ville, comme celui des locataires du secteur privé et des habitants présents dans leur logement depuis 2 à 5 ans. Les classes B2 et B3 sont très proches politiquement, avec des scores élevés de la liste Rolland, voire des listes d’extrême droite ou d’extrême gauche (B3). Situés dans la partie orientale de la ville au-delà des boulevards ou à Nantes Sud, ces quartiers mixtes à dominante populaire sont pour partie vieillissants, et accueillent à la fois un quart de logements sociaux et un taux élevé d’habitants ancrés depuis plus de 10 ans dans leur logement.

4Non loin de là, le profil B4 agrège des bureaux où les classes populaires (notamment les ouvriers et les chômeurs) sont très surreprésentées. L’abstention y est majoritaire et les votants optent très largement pour les listes de gauche. Enfin, le type B5 correspond au cœur des quartiers de grands ensembles paupérisés (Bellevue, Dervallières, Chêne des anglais) dont le profil est avant tout marqué par une abstention record de 63 % et une quasi absence des suffrages portés sur la droite. Et pour cause, près de 80 % des habitants survivent dans le parc de logement HLM ou sont logés gratuitement, et tous les indicateurs de précarité sociale y atteignent leur maximum nantais, à l’image des 30 % d’habitants au chômage ou inactifs.

Une abstention en tête dans tous les bureaux : des élus mal élus

5En dépit des enquêtes d’opinion dépeignant les maires comme les élus préférés des Français, cette perception ne semble plus suffisante pour les faire se déplacer aux urnes, à l’image des 45 % d’inscrits qui n’ont pas participé au scrutin de 2014 à Nantes (figure 1). Cette abstention atteindrait d’ailleurs environ 50 % si on prenait en compte dans la population inscrite les étrangers non-communautaires, auxquels le droit de vote aux élections locales est régulièrement promis depuis 1981... Les relations statistiques calculées entre le profil des habitants et cette abstention recoupent les constats opérés lors des élections présidentielles récentes : elle augmente avec la présence de celles et ceux qui occupent des positions dominées dans les hiérarchies scolaires (absence de diplôme), socioprofessionnelles (chômeurs, ouvriers, employés) et résidentielles (locataires du parc de logement social), mais sont plus intenses à l’occasion du scrutin municipal. Cela confirme que les électeurs les moins politisés sont les plus dépendants de l’intensité des campagnes, les scrutins de faible intensité comme les municipales exacerbant les effets des inégalités sociales en matière de participation.

Une procédure d’inscription inadaptée à une société urbaine et mobile

6Les liens entre l’abstention et la présence des habitants arrivés récemment dans leur quartier ou avec la localisation des salariés précaires (CDD, intérim, stage), qui sont les plus mobiles géographiquement du fait de leur instabilité professionnelle, disent aussi combien l’absence de stabilité résidentielle pèse sur la participation, qui est elle-même dépendante de la qualité de l’inscription sur les listes électorales. La procédure française qui impose aux citoyens de renouveler leur inscription à chaque déménagement est donc inadaptée à la société urbaine contemporaine et exclue de fait les citoyens les plus jeunes et les plus mobiles. Les grands établissements nantais d’enseignement supérieur accueillent par exemple plus de 40 000 étudiants, or très peu d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales de la ville où ils étudient, vivent, se déplacent la majeure partie de la semaine. Ils pourraient pourtant peser 20 % du corps électoral nantais et prendre – au-delà des contrastes sociopolitiques qui traversent la population étudiante – toute leur place dans les débats métropolitains sur les questions de logement ou de transports.

Pour citer ce document

Jean Rivière, 2020 : « Retour sur le paysage municipal nantais en 2014 », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 11/02/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=340, DOI : en attente.

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Bibliographie

Bellanger E., Desage F., Rivière J., « Les scrutins municipaux sous le regard des sciences sociales », Métropolitiques, 21 avril 2014. https://www.metropolitiques.eu/Les-scrutins-municipaux-sous-le.html

Braconnier C., Dormagen J.-Y., « Une démocratie de l'abstention. Retour sur le non-vote et ses conséquences politiques lors des scrutins municipaux et européens de 2014 », Hérodote, vol. 154, n°3, 2014, p. 42-58. DOI : 10.3917/her.154.0042

Le Saout R., Michonova R., « Les jeunes et la participation électorale », Bigoteau M., Garat I., Moreau G. (dir.), Les jeunes dans la ville. Atlas social de Nantes-Métropole, Rennes, PUR, 2009, p. 104-107.

Rivière J., « Les divisions sociales des métropoles françaises et leurs effets électoraux. Une comparaison des scrutins municipaux de 2008 », Métropolitiques, 21 mars 2014. https://www.metropolitiques.eu/Les-divisions-sociales-des.html

Jean Rivière

Maître de conférences en géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

Avant les échéances municipales de 2020, un retour sur le scrutin précédent permet de dessiner les grands traits du paysage électoral observé à Nantes en 2014. L’élection avait été marquée par une très forte abstention et par la victoire, au second tour, de la liste de rassemblement conduite par J. Rolland. Quelques jours plus tard et par un drôle de paradoxe, le maire sortant souvent considéré comme un artisan du renouveau nantais, J.-M. Ayrault, devait démissionner de son poste de Premier Ministre en raison de la défaite enregistrée par la gauche au plan national.

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