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Les scrutins du 15 mars 2020 se sont déroulés dans un contexte surréaliste, au lendemain du passage au stade 3 de la gestion de l’épidémie de Covid19 et à la veille du confinement sanitaire de la population. Les logiques sociologiques permettant de comprendre l’abstention lors de ces élections sont-elles différentes de ce que l’on observe habituellement ? La géographie des résultats des différentes listes révèle-t-elle des surprises au regard du paysage municipal nantais établi ?
1Pour tenter de répondre à ces questions interrogeant la sincérité de scrutins qui n’auraient pas dû avoir lieu, l’analyse a été conduite à l’échelle des bureaux de vote nantais en confrontant les résultats avec ceux du scrutin municipal de 2014 et ceux des élections présidentielles 2017 et des européennes 2019. L’abstention de 61% des inscrits est la principale information du premier tour, très loin devant les scores des différentes listes (figure 1). Seulement un peu plus d’un nantais inscrit sur dix a ainsi voté pour la liste de la maire sortante J. Rolland, pourtant présentée dans la presse comme « gagnante » du premier tour.
Figure 1 - Une abstention qui écrase les scores de toutes les listes
Une géographie de l’abstention banale… en apparence
2La distribution géographique de l’abstention correspond à celle déjà établie en d’autres occasions (figure 2). C’est dans les quartiers populaires périphériques (Les Dervallières, Le Breil, Bellevue, Nantes-Nord, Malakoff, La Bottière) qu’elle est la plus élevée, ce que confirment les très fortes relations statistiques entre la localisation de l’abstention et la présence des fractions basses des classes populaires (ouvriers, chômeurs, inactifs), des habitants les moins diplômés ou des locataires du parc d’habitat social, autant de catégories dont l’éloignement de l’institution électorale est déjà bien documenté, la saturation de l’espace médiatique par le Covid19 faisant probablement jouer à plein les effets des inégalités de politisation.
Figure 2. Une abstention entre logiques structurelles et effets démographiques conjoncturels
3Mais l’abstention dépasse aussi les 60 % dans les espaces péricentraux, la corrélation entre participation et part des propriétaires étant moins forte que lors des scrutins précédents, tandis qu’apparait une relation légère entre abstention et pourcentage d’habitants présents depuis plus de 10 ans, alors même que l’ancienneté résidentielle est d’ordinaire associée au fait de se rendre aux urnes (figure 2). D’autres constats spécifiques peuvent être dressés en matière de structure par âge. En 2020, des corrélations légèrement positives apparaissent entre l’abstention et la présence des 40-64 ans, tandis que s’efface la relation – pourtant classique en sociologie électorale – entre le fait de venir voter et la présence de la génération très socialisée à la norme participationniste des 65-79 ans. Inversement, la présence des 18-24 ans est corrélée très légèrement avec la participation, tandis que la relation observée en 2014 entre localisation des 25-34 ans et abstention disparaît. Ces éléments à interpréter avec beaucoup de prudence semblent documenter une mobilisation différentielle un peu plus forte des moins de 40 ans1, dans un contexte particulièrement anxiogène pour les populations âgées les plus concernées par les premiers décès liés à l’épidémie.
Les partitions (attendues) de l’espace nantais entre listes de gauche et de droite
4La cartographie (figure 3) des résultats des six « principales » listes – leurs scores varient entre 1,8 % et 11,9 % des inscrits – donne à voir des implantations géographiques sans surprise, tout comme l’examen des relations statistiques entre ces implantations et le profil sociologique des habitants (tableau annexe).
Figure 3. Des géographiques classiques du clivage gauche-droite nantais
5Les trois listes de gauche partagent ainsi des géographies voisines avec des scores plus élevés dans le quartier de Chantenay, sur l’île de Nantes, à l’intérieur de la ceinture des boulevards pour les listes Laernoes et Medkour, et dans le quartier Doulon-Bottière pour la liste du PS. Les listes EELV et NEC ont en commun leur localisation dans les quartiers où sont plus présents qu’ailleurs les étudiants, les moins de 40 ans, les locataires du parc privé, les habitants vivant dans leur quartier depuis moins de 5 ans, et les diplômés du supérieur (surtout pour la liste EELV, liée par ailleurs à la présence des classes moyennes supérieures). Sortante, la liste PS a une implantation spatiale plus homogène, de sorte que ses résultats ne sont pas liés à la présence de certaines catégories d’habitants, si ce n’est avec celle des professions intermédiaires, voire des employés.
6Les deux listes de droite (Oppelt pour LREM et Garnier pour LR) dessinent des géographies analogues centrées sur deux pôles entre Canclaux et le parc de Procé et autour des ronds-points de Vannes et de Rennes, autant de secteurs ancrés à droite de longue date. Les fondements sociaux de ces expressions politiques sont classiques en sociologie électorale, avec des corrélations analogues pour ces deux listes (mais toujours plus fortes pour la liste LR) : présence des 65 ans et plus, des diplômés du supérieur, des artisans-commerçants et chefs d’entreprises, des cadres, des travailleurs indépendants et des propriétaires de leur logement. Enfin, la liste Revel (RN) correspond à une logique géographique très différente avec une implantation aux marges nord-est de l’espace nantais (Saint-Joseph de Porterie, Le Landreau) et des corrélations statistiques positives avec la part des 40 à 64 ans, des diplômés de CAP ou de BEP, des employés ou des habitants dans leur quartier depuis plus de 10 ans.
7Quoi qu’il advienne de ce processus électif à la légitimité discutable et à l’issue inconnue au plan juridique, ce premier tour de scrutin est entaché d’une abstention massive qui aurait pu pour partie être évitée. La démocratie locale aurait mérité mieux.
Notes
1 La prudence est d’autant plus de mise que ces corrélations statistiques, certes mesurées à une échelle très fine, signifient qu’il y a plus d’abstention quand, par exemple, la part des 40-54 ans augmente dans le bureau de vote, ce que l’on ne peut pas interpréter comme le fait que ce soit les 40-54 ans eux-mêmes qui se soient abstenus. Les données mobilisées dans cette planche sont toutefois très robustes car elles correspondent à l’abstention réelle, et non à une intention ou une pratique déclarée comme c’est le cas dans les enquêtes par sondage, qui sont quant à elles affectées par des biais déclaratifs. Des analyses de science politique basées sur des enquêtes de ce type permettent à l’inverse de conclure que les inscrits de plus de 60 ans se sont plus mobilisés en raison de leur socialisation politique générationnelle. Or c’est justement cette socialisation qui pourrait les amener à moins déclarer leur abstention effective dans ce type de sondage…
Pour citer ce document
Jean Rivière, 2020 : « Municipales 2020 à Nantes : un premier tour anxiogène avant confinement », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 23/03/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=405, DOI : en attente.
Autres planches in : S'engager et prendre position
Bibliographie
Braconnier C., Coulmont B., Dormagen J.-Y, « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale. Chute de la participation et augmentation des inégalités électorales au printemps 2017», Revue française de science politique, vol. 67, n°4, 2017, p. 1023-1040.
Riviere J., « Jeux d’échelles pour comprendre les déterminants sociaux de l’abstention dans l’espace français », Deloye Y., Mayer N. (dir.), Analyses électorales, Larcier, Bruylant, 2017, p. 59-116
Rivière J., « Les divisions sociales des métropoles françaises et leurs effets électoraux. Une comparaison des scrutins municipaux de 2008 », Métropolitiques, 21 mars 2014. https://www.metropolitiques.eu/Les-divisions-sociales-des.html
Jean Rivière
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Résumé
Les scrutins du 15 mars 2020 se sont déroulés dans un contexte surréaliste, au lendemain du passage au stade 3 de la gestion de l’épidémie de Covid19 et à la veille du confinement sanitaire de la population. Les logiques sociologiques permettant de comprendre l’abstention lors de ces élections sont-elles différentes de ce que l’on observe habituellement ? La géographie des résultats des différentes listes révèle-t-elle des surprises au regard du paysage municipal nantais établi ?
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