Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Nantes Métropole et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un couple ouvert à deux battants

par Frédéric Barbe

planche publiée le 06 janvier 2022

Au premier abord, la métropole attractive et le haut-lieu de résistance à la métropolisation semblent se tenir loin l’une de l’autre. Les regarder ensemble, c’est penser la conflictualité comme constitutive du monde réel et créatrice des devenirs possibles d’une société. La théâtralité de ces relations incite à regarder l’intimité et la proximité de toute composition, émancipation ou régulation. Une (belle) histoire.

1 En 2000, l’exécutif de Nantes Métropole relance le projet de nouvel aéroport international imaginé par l’État dans les années 1960 à Notre-Dame-des-Landes. Il s’agit maintenant de transférer l’aéroport existant, situé à Bouguenais, dont le trafic croît régulièrement à mesure du succès de la politique d’attractivité. Au terme de dix ans de résistances redoublant celles des années 1970, une convergence des luttes permet la constitution d’un haut-lieu habité sur le site de la Zone d’Aménagement Différé, transformée en Zone À Défendre. La ZAD naît de cette confrontation avec Nantes Métropole et y acquiert une notoriété supérieure par certains égards à celle de sa voisine, permettant la diffusion de son acronyme dans bien d’autres lieux et l’abandon même du projet d’aéroport (figure 1).

Figure 1 - Mobilisations « anti-aéroport » majeures

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Deux infrastructures aéroportuaires, l'existante et la projetée, ont cohabité pendant cinquante ans, dans et hors la métropole, une entité constituée elle-même à mi-parcours de cette controverse fortement territorialisée. Le récit de cette lutte est marqué par des événements majeurs, les échecs de la participation institutionnelle (2003, 2008 et 2016), les deux interventions policières massives sur la zone (2012 et 2018) mais aussi les manifestations nombreuses et variées (appel à occupation, manifestation de ré-occupation, occupations des 4-voies et du pont de Cheviré, manifestations régulières et parfois massives sur la zone et à Nantes, etc.) La consultation pour avis du 26 juin 2016 a été controversée : choix du périmètre le plus favorable au oui, campagne officielle dématérialisée et partiale, question unique et absence d'alternatives. Les données de la carte sont exprimées sur les inscrits pour montrer ce que produit aujourd'hui l'abstention (49 %), une abstention plus forte loin des deux sites, mais aussi classiquement dans les quartiers populaires. Le vote NON est plutôt corrélé à l'ensemble des votes de gauche et montre une population métropolitaine en très fort doute sur le projet. Aujourd’hui, le projet de transfert est abandonné et la ZAD, amputée par les destructions policières du printemps 2018, existe toujours sous une forme différente et dans un rapport de force et d’innovation tendu et paradoxal avec l’État et le département de Loire-Atlantique.

Autochtonies

2Réinscrire ce conflit dans la longue durée et différentes échelles permet d’abord d’expliquer l’inexplicable. Ce qui n’était au départ qu’un modeste mouvement contre un grand projet est devenu une coalition « contre l’aéroport et son monde » et a réussi dans un jeu complexe à obtenir de l’État l’abandon de ce projet le 17 janvier 2018, scandalisant les grands élus du territoire. Le périmètre du projet est un ancien commun de landes transformé lors de la révolution agricole du XIXe siècle. Devenu bassin laitier dans l’après-guerre, il est mis à l’abri de la dernière modernisation agricole issue de la politique agricole commune par les acquisitions foncières de l’État après 1972. C’est un bocage secondaire relique qui offre soudainement une nouvelle prise sociale et environnementale. Un certain nombre de paysan·nes de la zone sont relié·es au mouvement de la gauche paysanne de l’Ouest, active pour son compte (occupations de fermes, action directe contre le productivismee agro-industriel) mais aussi complice des luttes urbaines (Mai 68 à Nantes) ou d’autres luttes elles-mêmes victorieuses (Larzac, Plogoff, Le Pellerin). C’est dans ce cadre de très forte autochtonie et de transmission d’une culture de luttes victorieuses qu’une occupation, démarrée dès 2007 par des jeunes issu·es du pays nantais, a pu se nationaliser et même s’internationaliser (figures 1 et 2).

Figure 3 - Extraits des chroniques dessinées de McMarco

1 - Face à face

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2 - Barricade

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3 - Grève de la faim

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4 - Sème ta zad

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5- Lama faché

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6 - Assemblée Rezé

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7 - Assemblée Vacherie

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8 - Hangar de l'avenir

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9 - La Rolandière

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10 - La Sécherie

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Montrer par une série la diversité de la confrontation et de l’inédit du conflit, toutes images 2012 à 2018 sur la Zad, sauf grève de la faim 2012 à Nantes et collectif de soutien à Rezé, 2014.
Dans l’ordre d’apparition :
1 - face à face occupant·e·s/gendarmerie ;
2 - barricade occupant·e·s et paysan·ne·s ;
3 - grève de la faim à Nantes, paysans et élue ;
4 - sème ta Zad, paysan·ne·s et occupant·e·s ;
5 - lama Fâché, Zad de l’Est ;
6 - assemblée à Rezé, collectif de soutien ;
7 - assemblée à la Vacherie, lieu historique du mouvement ;
8 - hangar de l’Avenir, scierie collective, occupant·e·s et collectifs de soutien ;
9 - phare de la Rolandière et bibliothèque du Taslu, Zad de l’Ouest ;
10 - la Sécherie, Zad de l’Est.

Crédit dessins : McMarco

Un couple dysfonctionnel

3Nantes Métropole est une entité politique issue de la seconde décentralisation. Son exécutif, élu de manière indirecte, prend peu à peu le pouvoir sur la galaxie des maires et devient l’un des principaux acteurs du territoire face à l’État. Ce que l’on appelle ici métropolisation est un néocapitalisme urbain guidé par des politiques publiques très structurantes, adossé à diverses formes de clientélisme, à des propagandes publiques puissantes, à un usage instrumental de la participation elle-même très développée et un recours aux labels extérieurs. En 2013, quelques mois après l’évacuation ratée de la ZAD, puis son occupation partielle par la gendarmerie mobile, Nantes devient « Capitale Verte Européenne ».

4Les affirmations d’écologisation de la métropole butent sur ce « grand projet inutile et imposé », fracturant la majorité municipale et métropolitaine, créant un double récit contradictoire de résistance à l’abus de pouvoir et de radicalisation des opposant·es. Un puissant tabou est imposé dans la métropole, sur les élu·es, les journalistes, les cadres, les prestataires et les bénéficiaires de l’action publique, faussant la juste perception de la controverse au sein de la population. Pourtant, le haut-lieu dissident, hybride et marqué par l’illégalisme (squat, action directe, horizontalité), mais aussi par les autres savoir-faire d’une vaste coordination légale, a déjà entamé le récit métropolitain et s’est incrusté dans la ville même et au-delà (figure 3). Le 22 février 2014, la grande manifestation contre l’aéroport et son monde tenue dans un centre-ville placé en état de siège est un point d’orgue de cette tension montrant en son centre le visage autoritaire de la métropolisation.

Figure 3 - Carte de la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes

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Carte sensible éditée par l’association à la criée, 1ère édition printemps 2016 (5 tirages et 25 000 exemplaires diffusés entre 2016 et 2018), visible dans de très nombreux domiciles et lieux collectifs du grand Ouest.

Transfert et contre-transfert

5Cette lutte contre la surmodernité s’est certes jouée entre deux ensembles idéologiques et sociaux éloignés, mais aussi dans une longue liste de personnes et de groupes « jouant sur les deux tableaux » : professionnel·les de Nantes Métropole, salarié·e·s de la plate-forme aéroportuaire, leurs syndicats (CGT, SUD), élu·es et militant·es écologistes, le Modem, la gauche de la gauche métropolitaine, des notables retraités du Conseil de développement, des étudiant·es et leurs lieux de formation, des naturalistes, des jardiniers/ières, etc.

6Pour ces personnes « entre-deux », la montée sur la ZAD comme expérience du faire avec son corps et la perception positive de l’habiter en conscience d’habiter viennent hybrider et incarner la contre-expertise intellectuelle. Les résultats inattendus de la consultation pour avis de juin 2016 (figure 1) montrent le très fort ancrage social et territorial de l’opposition au projet. La ZAD constitue ainsi, au-delà d’elle-même, une régulation critique de la métropolisation, la réinvention d’une gauche écologisée et l’expérimentation de formes d’autonomie instituantes.

Pour citer ce document

Frédéric Barbe, 2022 : « Nantes Métropole et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un couple ouvert à deux battants », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 06/01/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=689, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.689.

Autres planches in : S'engager et prendre position

Sources : Nantes en Commun.

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carte : J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier - 2019

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couv. : Archives Départementales de Loire Atlantique, 1977

La victoire de l’Union de la gauche aux élections municipales de Nantes en 1977 : la fin de la « Troisième force »

par Christophe Batardy

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Bibliographie

Barbe F., « La « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ou l’habiter comme politique », Norois, n° 238-239, 2016, p. 109-130. DOI : 10.4000/norois.5898

Collectif Sudav, C’est quoi c’tarmac ? Profits, mensonges et résistances, No Pasaran, 2011. http://www.reseau-nopasaran.org/catalogue/product_info.php?products_id=952

Collectif Z, « Nantes, écologie de marché », Z revue itinérante de critique sociale, n° 4, 2010. https://www.ladernierelettre.fr/parutions/z4/

De Legge J., Leguen R., Dégage ! On aménage, Les Sables-d’Olonne, Le Cercle d’Or, 1976.

Rivière J., « Clore un conflit d’aménagement par le vote ? Note sur la géographie électorale de la consultation sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes »,  Norois, n°238-239 ? 2016, p. 147-159. DOI : 10.4000/norois.5921

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  • Notre-Dame-des-Landes

Résumé

Au premier abord, la métropole attractive et le haut-lieu de résistance à la métropolisation semblent se tenir loin l’une de l’autre. Les regarder ensemble, c’est penser la conflictualité comme constitutive du monde réel et créatrice des devenirs possibles d’une société. La théâtralité de ces relations incite à regarder l’intimité et la proximité de toute composition, émancipation ou régulation. Une (belle) histoire.

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