Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

La géographie sociale des travailleurs pauvres nantais

par Claire Auzuret et Christophe Batardy

planche publiée le 13 octobre 2020

Selon une vision largement répandue dans le grand public, les centres des métropoles françaises seraient peuplés de familles aisées, et leurs quartiers seraient pour la plupart en voie de gentrification ou d’embourgeoisement. Or les travailleurs pauvres sont nombreux à résider au cœur des mondes urbains, y compris les plus dynamiques économiquement. Alors que l’on s’attendrait à ce que la majorité d’entre eux réside dans les grands ensembles du parc public d’habitat social et bénéficie d’aides au logement, l’analyse de leur répartition dans les quartiers nantais montre une réalité plus complexe.

Des travailleurs pauvres partout, mais en proportion variable

1L’exploitation des fichiers de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) a permis de dénombrer 11 923 travailleurs pauvres dans la commune de Nantes en 2008, soit environ 8 % de la population active des 15-64 ans. Une personne est considérée comme travailleur pauvre dès qu’elle a été au moins la moitié d’une année sur le marché du travail, dont au moins un mois en emploi, et qu’elle a vécu tout au long de cette période dans un ménage en situation de pauvreté monétaire, ce qui correspond en France à des revenus équivalents à 60 % du revenu médian, soit un seuil de pauvreté monétaire de 1 041 € par mois pour une personne vivant seule en 2017. À Nantes, ces travailleurs pauvres résident essentiellement dans les grands ensembles, où ils représentent jusqu’à 13 % des actifs de 15 à 64 ans, mais ils sont aussi présents dans les IRIS du centre-ville, ainsi que sur l’Île de Nantes. On trouve donc des travailleurs pauvres à peu près partout dans la ville, mais en proportion très variable (figure 1).

Figure 1 - Des travailleurs pauvres présents dans l’ensemble du territoire nantais

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2Une analyse portant sur les variables sexe et âge du responsable de dossier CAF des foyers, mais aussi sur leur niveau de vie, leur situation familiale et le type d’habitat, a tout d’abord permis de mettre en lumière six profils-types de travailleurs pauvres. Puis, l’analyse de la répartition de ces profils-types dans les IRIS a amené à distinguer six groupes de quartiers, qui dessinent une géographie des types de travailleurs pauvres dans l’espace nantais (figure 2).

Six groupes de quartiers avec des profils de travailleurs pauvres différents

Figure 2 - Une géographie concentrique de la répartition des profils de travailleurs pauvres

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3Dans les quartiers nantais s’étalant le long d’un axe de la Zone Portuaire à Université Jonelière en passant par le centre-ville, on observe une surreprésentation de travailleurs pauvres composés de jeunes hommes isolés résidant dans le parc de logement privé, avec une forte proportion percevant moins de 300 € par mois (groupe A). On peut faire l’hypothèse qu’une partie de ces travailleurs sont des étudiants salariés, dans la mesure où ces derniers sont également très présents dans les quartiers de ce groupe. On trouve aussi ce profil-type de travailleurs pauvres dans les IRIS où une précarité émergente et diffuse a été repérée par la ville de Nantes, tels qu’à République les Ponts, Baulieu-Mangin, Richebourg-Saint Clément ou Talensac.

4En périphérie est de Nantes, sur des territoires qui ont connu un accroissement de leur parc de logements entre 2006 et 2011 (Le Landreau, Le Vieux Doulon), on observe une surreprésentation de travailleurs pauvres âgés de 15 à 35 ans, qui n’ont ni aides au logement, ni enfant(s) à charge et dont le niveau de vie se situe entre 300 et 600 € par mois (groupe B).

5Dans les zones d’habitat social situées à l’ouest de la ville dans le quartier Chantenay, mais aussi à Bouts-des-Landes, on trouve plutôt des foyers en couple avec enfant(s) ou monoparentaux avec à leur tête une femme âgée de 36 à 55 ans, touchant entre 600 et 900 € par mois (groupe C).

6À l’est et à l’ouest de Nantes, en correspondance avec les secteurs à dominante pavillonnaire populaire et/ou à des logements sociaux comme Zola, Carcouet ou la Durantière, les travailleurs pauvres sont majoritairement composés de personnes isolées ou de familles monoparentales, soit le plus souvent une femme de 46 à 55 ans, qui vit dans le parc de logement social et perçoit entre 600 et 900 € par mois (groupe D).

7Dans les grands ensembles de Bellevue, des Dervallières, du Breil Malville, du Chêne des Anglais, de la Beaujoire Halvèque et de Port Boyer, on observe une surreprésentation de foyers avec une famille ou avec une femme vivant seule âgée de 36 à 55 ans et disposant de 600 à 900 € de ressources mensuelles (groupe E).

8Enfin, dans les IRIS Chauvinière et Santos Dumont au nord de la ville, c’est-à-dire dans des zones où on trouve une surreprésentation de ménages pauvres par rapport à la moyenne nantaise et une pauvreté installée au sein de secteurs intégrés aux zonages de la politique de la ville, il y a une surreprésentation d’hommes de 56 à 65 ans vivant seuls dans le parc de logement social et percevant entre 600 et 900 € par mois (groupe F).

9On observe donc une hétérogénéité des quartiers au regard des profils-types de travailleurs pauvres nantais. Si les familles et les foyers monoparentaux résident dans les logements sociaux des grands ensembles en limite de commune, l’est de la ville accueille plutôt des foyers en couple avec ou sans enfants, dans des zones de peuplement récent. Quant au centre-ville et à l’Île de Nantes, loin d’être des lieux où résident uniquement des classes supérieures, il s’agit de territoires composés d’une proportion non négligeable de travailleurs pauvres, plutôt jeunes et masculins résidant dans l’habitat privé, dont une partie est insalubre.

Pour citer ce document

Claire Auzuret et Christophe Batardy, 2020 : « La géographie sociale des travailleurs pauvres nantais », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 13/10/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=473, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.473.

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Bibliographie

Gobin L., Appréhender l’habitat indigne : le cas de la ville de Nantes, Université de Nantes, 2011.

Loirand E., « L’habitat ancien dans le centre-ville nantais », Cahiers nantais, n° 33-34, 1989/1990, p. 267-279.

Ville de nantes, Le Nantoscope des besoins sociaux, 2010.

HervÉ L-O., « Ménages allocataires du RSA en Loire-Atlantique : quelles trajectoires ? », Repères, n° 46, 2010, p. 1-4.

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Glossaire

Claire Auzuret

Docteure en sociologie de l’université de Nantes et membre du Centre nantais de sociologie (CENS)

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Claire Auzuret

Résumé

Selon une vision largement répandue dans le grand public, les centres des métropoles françaises seraient peuplés de familles aisées, et leurs quartiers seraient pour la plupart en voie de gentrification ou d’embourgeoisement. Or les travailleurs pauvres sont nombreux à résider au cœur des mondes urbains, y compris les plus dynamiques économiquement. Alors que l’on s’attendrait à ce que la majorité d’entre eux réside dans les grands ensembles du parc public d’habitat social et bénéficie d’aides au logement, l’analyse de leur répartition dans les quartiers nantais montre une réalité plus complexe.

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