Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive (2/2). Une approche par les typologies de quartier

par Jean Rivière et Christophe Batardy

planche publiée le 02 mars 2022

Les travaux portant sur la division sociale de l’espace sont souvent marqués par une faible profondeur historique, mais ils permettent cependant de connaître l’état, à un instant T, de l’inégale répartition des groupes socioprofessionnels dans les mondes urbains. Alors que les « fractures géographiques » de la société française sont souvent évoquées dans le débat public sur un mode sensationnaliste, cette planche propose une analyse de l’évolution des divisions socioprofessionnelles de l’aire urbaine nantaise sur quarante ans (1975-2015), afin de mesurer précisément les dynamiques en cours.

Observer les clivages socioprofessionnels en recomposition dans l’espace et dans le temps

1En se basant sur des données de l’INSEE à l’échelle fine des 294 IRIS et communes de l’aire urbaine lors de six recensements de la population, une première analyse a permis de mettre en évidence dix profils-types de quartiers selon leurs caractéristiques socioprofessionnelles, des plus populaires aux plus aisés (figure 1). Comme une unité géographique qui compte 25 % de cadres en 1975 ne correspond pas au même profil sociologique qu’une unité géographique comptant la même proportion de cadres en 2015, une telle démarche est nécessairement sensible aux changements structurels, en l’occurrence l’évolution de la part des groupes socioprofessionnels dans la structure de l’emploi français. Mais l’objectif de cette typologie consiste surtout à saisir le changement social avec suffisamment de finesse dans un référentiel unique, ce qu’elle parvient très bien à faire puisque neuf profils-types sur dix sont présents en 1975 et sept sur dix en 2015, tous les profils étant observables entre 1982 et 1999 (figure 2).

Figure 1 - Les dix profils-types de quartiers selon leurs caractéristiques socioprofessionnelles entre 1975 et 2015

Image

Sources : Recensements de la population 1975 et 1982 [psm-003 sur fichiers détails, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 1990 et 1999 [tableaux profils, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 2007 et 2015 [bases de données infra-communales - IRIS, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)].

2Cette première analyse permet de proposer une cartographie animée des profils-types auxquels appartient chaque unité géographique à chaque date (figure 2). Cette cartographie permet de spatialiser les changements structurels de la composition socioprofessionnelle de l’aire urbaine nantaise : très forte baisse des profils-types 1 « populaire très agricole » et 2 « populaire agricole et ouvrier » dans les communes de la couronne périurbaine au cours des années 1970-1980 ; déconcentration progressive depuis le secteur industriel du Sud Loire (puis disparition dans les années 1990) du profil 3 « populaire très ouvrier » ; dilatation géographique – à partir des noyaux initiaux des beaux quartiers – des types 9 « aisé » et 10 « très aisé », d’abord dans l’espace de la ville-centre au cours des décennies 1990-2000 puis au-delà dans les années 2010.

Figure 2 - Les profils socioprofessionnels successifs des espaces de l’aire urbaine nantaise (1975-2015)

1975

Image

1982

Image

1990

Image

1999

Image

2007

Image

2015

Image

NDLR : pour obtenir une version "animée" de l'évolution, vous pouvez faire défiler rapidement les cartes par année (de 1975 à 2015) en utilisant la flèche droite du clavier (flèche gauche pour revenir en arrière).

Sources : Recensements de la population 1975 et 1982 [psm-003 sur fichiers détails, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 1990 et 1999 [tableaux profils, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 2007 et 2015 [bases de données infra-communales - IRIS, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)].

Distinguer les trajectoires d’évolution des quartiers et communes

3Une fois établis les profils socioprofessionnels successifs de chaque IRIS ou commune, une seconde typologie a permis de distinguer neuf types de trajectoires qui rendent compte des dynamiques du changement social métropolitain (figure 3). Cette analyse montre que les divisions socioprofessionnelles s’organisent, dans l’aire urbaine nantaise comme souvent dans les mondes urbains français, selon une double logique concentrique (opposition centre/périphérie) et sectorielle (contrastes est/ouest et nord/sud).

Figure 3 - Une typologie des séquences de changement social dans l’aire urbaine nantaise (1975-2015)

Image

Sources : Recensements de la population 1975 et 1982 [psm-003 sur fichiers détails, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 1990 et 1999 [tableaux profils, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 2007 et 2015 [bases de données infra-communales - IRIS, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)].

4L’analyse de ces trajectoires s’appuie sur la composition socioprofessionnelle successive de chaque profil-type, tout en la rapportant à la structure métropolitaine (figure 4). L’interprétation des trajectoires de changement social doit en effet être conduite avec beaucoup de prudence, car une unité géographique peut tout à fait voir sa proportion de cadres augmenter entre 1975 et 2015 (suggérant une forme d’embourgeoisement), mais que le degré de concentration des cadres y diminue dans le même temps (invitant à conclure à une mixité relative croissante). On a donc également tenu compte d’un second point de comparaison avec la moyenne française, car l’aire urbaine nantaise est elle-même engagée dans une trajectoire de spécialisation socioprofessionnelle par rapport à la structure nationale.

Figure 4 - Les profils des classes issues de l’analyse des séquences

Image

Sources : Recensements de la population 1975 et 1982 [psm-003 sur fichiers détails, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 1990 et 1999 [tableaux profils, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)] ; Recensements de la population 2007 et 2015 [bases de données infra-communales - IRIS, INSEE (producteur), ADISP (diffuseur)].

5Le premier groupe de trajectoires décrit les couronnes périurbaines situées à plus de 10 km de Nantes et qui sont caractérisées par des substitutions de profils socioprofessionnels à l’intérieur des mondes populaires. Pour ces deux profils (représentés via les deux teintes de gris), les graphiques colorés à gauche de la figure 3 révèlent bien les trajectoires de ces communes qui passent progressivement des profils en vert (mondes des travailleurs indépendants – notamment agricoles – et ouvriers) au bleu clair puis jaune pâle (espaces où se combinent les surreprésentations des employés et ouvriers). Le deuxième groupe de trajectoires donne à voir les destins variés des espaces populaires et intermédiaires de l’aire urbaine, destins réunis dans quatre classes (apparaissant dans les teintes orangées) qui connaissent des processus de « désouvriérisation continue », de « maintien d’un profil moyen », de « léger déclassement relatif » ou de « paupérisation ». Enfin, le dernier ensemble de trajectoires (figurées dans les teintes de rose) regroupe plusieurs processus d’embourgeoisement qu’il convient de distinguer, pour ne pas confondre les trajectoires des quartiers bourgeois qui deviennent de plus en plus bourgeois et les trajectoires de ceux qui sont initialement populaires et qui sont travaillés par le processus de gentrification.

6Cette planche permet de conclure au maintien de situations de mixité sociale relatives dans la plupart des secteurs géographiques composant la métropole nantaise. L’espace de la ville-centre est toutefois travaillé par de puissantes logiques d’appropriation par les classes moyennes et supérieures, 52 des 91 IRIS nantais étant concernés par des trajectoires d’embourgeoisement, dont la moitié par des processus de gentrifications.

Pour citer ce document

Jean Rivière et Christophe Batardy, 2022 : « Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive (2/2). Une approche par les typologies de quartier », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 02/03/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=708, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.708.

Autres planches in : Distinguer des groupes sociaux

Photo : C. Burban, 2023.

Les livreurs de repas nantais (2/2) : divisions racialisées et degrés de précarité internes au groupe

par Claire Burban

Voirla planche intégrale 

Carte : C. Burban, S. Charrier, 2023.

Les livreurs de repas (1/2) : l’ubérisation d’une fraction des classes populaires nantaises

par Claire Burban, Nicolas Raimbault et Hugo Botton

Voirla planche intégrale 

Carte : J. Long, S. Charrier, 2022.

La situation des mineur.es non accompagné.es en Loire Atlantique depuis 2014

par Julien Long

Voirla planche intégrale 

Carte : S. Charrier, 2022.

Les travailleuses des classes populaires de la métropole nantaise : plus nombreuses que les hommes mais invisibles

par Eve Meuret-Campfort et Nicolas Raimbault

Voirla planche intégrale 

Carte : N. Raimbault, S. Charrier - 2022.

Emplois et lieux de travail des classes populaires de la métropole nantaise : géographie des clivages professionnels et de genre

par Nicolas Raimbault

Voirla planche intégrale 

Carte : N. Raimbault, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier - 2022.

Les dynamiques résidentielles des classes populaires au sein de la métropole nantaise : logiques de ségrégation et situations de mixité

par Nicolas Raimbault, Jean Rivière et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

Carte : N. Raimbault, C. Batardy, S. Charrier - 2022.

Les classes populaires de la métropole nantaise : un groupe social central, une géographie résidentielle doublement périphérique

par Nicolas Raimbault et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

Carte : J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier - 2022.

Embourgeoisement et/ou gentrification de l’espace nantais, de quoi parle-t-on ?

par Jean Rivière et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

Graphique : F. Madoré, S. Charrier, 2022.

Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive (1/2). Une approche par les indices de ségrégation

par François Madoré et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

Carte : E. Bornand, F. Letourneux, S. Charrier - 2021.

Des Batignolles à La Halvêque : des solidarités ouvrières à la disqualification sociale

par Elvire Bornand et Frédérique Letourneux

Voirla planche intégrale 

Carte : S. Daiki, S. Charrier - 2021.

La trajectoire d’habiter de S. mineur isolé étranger dans la métropole nantaise

par Sabryn Daiki, Élise Roy et Théo Fort-Jacques

Voirla planche intégrale 

Carte : S. Daiki - 2020.

Pratiques spatiales et imaginaires des personnes exilées

par Sabryn Daiki, Élise Roy et Théo Fort-Jacques

Voirla planche intégrale 

Carte : S. Daiki, S. Charrier - 2021.

Retour sur les trajectoires d’habiter des personnes exilées du square Daviais

par Sabryn Daiki, Élise Roy et Théo Fort-Jacques

Voirla planche intégrale 

Carte : J. Long, S. Charrier - 2021.

Du LU au square Daviais, chronique des mobilisations pour l’hébergement des étrangers à Nantes (2012-2018)

par Julien Long

Voirla planche intégrale 

Image : © Mairie de Nantes - 2009.

La ville attractive et la place des étrangers à Nantes (1989-2012)

par Julien Long

Voirla planche intégrale 

carte : S. Charrier, C. Batardy, C. Auzuret - 2020.

La géographie sociale des travailleurs pauvres nantais

par Claire Auzuret et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

carte : C. Batardy, S. Charrier - 2020.

La violence des inégalités de revenus

par Isabelle Garat

Voirla planche intégrale 

carte : J. Rivière, S. Charrier - 2020.

Quels clivages socioprofessionnels dans la métropole nantaise aujourd’hui ?

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

Bibliographie

Garat I., « La Sociologie de Nantes vue par une géographe », Métropolitiques. https://www.metropolitiques.eu/La-Sociologie-de-Nantes-vue-par-une-geographe.html

Madoré F., « La ségrégation sociale dans les villes françaises : réflexion épistémologique et méthodologique », Cahiers de géographie du Québec, vol. 49, n° 136, 2005, pp. 45-60. DOI : 10.7202/012108ar

Madoré F., « Évolution de la ségrégation socio-spatiale en milieu urbain. Le cas de l’aire urbaine de Nantes », Annales de Géographie, n° 692, 2013, p. 371-392. DOI : 10.3917/ag.692.0371

Rivière J., Madoré M., Batardy C., Garat I, Raimbault N., « Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive. Le cas de l’aire urbaine de Nantes (1975-2015) », Cybergeo : European Journal of Geography. DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.36572

Mots-clefs

Glossaire

Jean Rivière

Maître de conférences en géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

Toutes les planches de l'auteur

Les derniers dépôts dans HAL-SHS de Jean Rivière

c7a0c5314a0e15759a03e72ae76def83
Jean Rivière

Résumé

Les travaux portant sur la division sociale de l’espace sont souvent marqués par une faible profondeur historique, mais ils permettent cependant de connaître l’état, à un instant T, de l’inégale répartition des groupes socioprofessionnels dans les mondes urbains. Alors que les « fractures géographiques » de la société française sont souvent évoquées dans le débat public sur un mode sensationnaliste, cette planche propose une analyse de l’évolution des divisions socioprofessionnelles de l’aire urbaine nantaise sur quarante ans (1975-2015), afin de mesurer précisément les dynamiques en cours.

Statistiques de visites

Du au

* Visites : "Nombre de visites qui ont inclus cette page (planche) ou nombre de visites uniques. Si une page a été vue plusieurs fois durant la visite elle ne sera comptabilisée qu'une seule fois".
** Total : sur la période sélectionnée.
*** Hits : "Le nombre de fois que le site ou cette page a été visité(e)".