Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les dessous de la ville créative à Nantes : les quartiers de la création in et off

par Basile Michel

planche publiée le 10 avril 2020

L’instauration du Quartier de la Création officiel en 2011 consacre le tournant culturel puis créatif pris par Nantes afin de s’affirmer comme une métropole attractive. Cet étendard de la « ville créative » n’a pour autant pas conduit à la disparition du quartier de la création historique de la ville : celui des Olivettes. Deux quartiers « créatifs » cohabitent donc de manière originale au sein de la même ville, l’un porté par l’institution (le in), l’autre revendiquant au contraire son indépendance (le off).

1Les quartiers créatifs concentrent des activités considérées comme culturelles et créatives (collectifs d’artistes, théâtres, galeries d’art, architectes, designers, etc.). Ils constituent des fragments urbains sur lesquels se fonde le modèle utopique de la « ville créative ». Certains se forment spontanément, d’autres sont planifiés par les pouvoirs publics dans un objectif de transformation socio-urbaine et de marketing urbain. S’il est courant de voir des villes européennes se targuer de posséder leur quartier créatif, il est plus rare qu’une ville en possède plusieurs comme Nantes.

Émergence d’un quartier créatif spontané aux Olivettes

2Le quartier des Olivettes est un ancien faubourg industriel et ouvrier. La multiplication des friches à partir des années 1970 offre l’opportunité à des artistes de s’installer spontanément dans les hangars et les ateliers abandonnés. Ils sont rejoints au tournant des années 2000 par des professionnels de la culture et de la créativité. À la suite de l’élection de Jean-Marc Ayrault à la mairie en 1989, le projet lancé sur ce quartier via une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) vient renforcer ce mouvement spontané d’agglomération d’activités culturelles et créatives. L’occupation temporaire de friches par des artistes y est encouragée pour redynamiser le quartier, tandis que d’autres bâtiments rachetés par la ville sont cédés à de jeunes entrepreneurs culturels et créatifs (architectes…) qui se chargent de les réhabiliter et s’y installent. Cette politique est une illustration des stratégies urbaines visant à se saisir de la présence d’artistes et d’entrepreneurs culturels et créatifs dans les espaces en friche pour faire avancer la mutation de la ville. Elle se singularise par sa discrétion et par un soutien à une dynamique spontanée préexistante (bottom-up).

3Le quartier des Olivettes s’est donc affirmé dans le courant des années 1990-2000 comme une polarité culturelle et créative, un lieu d’effervescence dans les milieux de la musique, du théâtre et du graffiti notamment. Bien que moins underground aujourd’hui, le foisonnement se poursuit, en particulier dans de nombreux espaces de coworking privés et lieux artistiques intermédiaires (figure 1). Cette transformation culturelle et urbaine s’accompagne d’une mutation sociale de la population avec un processus de gentrification, lié au projet urbain des pouvoirs publics et à la valorisation immobilière privée, qui en fait aujourd’hui un quartier de classes moyennes supérieures alors qu’il était historiquement populaire.

Figure 1 – Les quartiers créatifs in et off de Nantes

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Instauration d’un quartier créatif officiel sur l’île de Nantes

4Créé en 2011 sur la pointe ouest de l’île de Nantes, le Quartier de la Création émane de la volonté des pouvoirs publics locaux. Il est le fruit de la stratégie de Nantes Métropole opérationnalisée par la SAMOA (société d’aménagement de l’île de Nantes) visant à faire de l’île de Nantes, ancien lieu de l’industrie navale, le nouveau cœur de la métropole grâce à un projet urbain qui fait de la culture un axe central d’action. Le Quartier de la Création a ainsi pour ambition de créer un cluster d’industries culturelles et créatives (ICC) fédérant les acteurs métropolitains et régionaux et engendrant un développement économique. Dans un contexte postfordiste de compétition entre les métropoles européennes, il constitue un outil marketing pour positionner Nantes parmi les « villes créatives ». Il regroupe aujourd’hui plusieurs porte-drapeaux de la ville dans le champ de la culture et divers lieux institutionnels et de formation dédiés aux ICC (figure 1). Il participe donc à la mutation de l’île de Nantes, caractérisée par la multiplication d’opérations immobilières de logements, de bureaux et d’équipements visant à attirer principalement les classes aisées, les entreprises « créatives » et les touristes. Il s’agit bien d’une illustration des stratégies urbaines utilisant la culture comme levier de transformation sociale et de développement économique de la ville selon une logique de planification par les pouvoirs publics (top-down).

Les contrastes du in et du off

5Nantes compte donc aujourd’hui deux quartiers créatifs qui se font face d’un côté et de l’autre de la Loire. L’un se fonde sur un ancrage ancien et spontané d’acteurs culturels et créatifs implantés dans des bâtiments discrets et cachés dans les venelles et les cours préservées de la période industrielle (les Olivettes) (photo 1).

Photo 1 – Une ruelle abritant les bureaux de nombreuses activités culturelles et créatives aux Olivettes

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Crédit photo : Basile Michel, 2016

6L’autre résulte d’une planification politique qui déploie un cluster d’ICC au sein d’un patchwork architectural d’anciens grands bâtiments industriels et de constructions neuves iconiques (Quartier de la Création) (photo 2). Ce contraste se double d’une opposition dans les discours, la ville présentant le Quartier de la Création comme le cœur créatif de la métropole, alors que les acteurs culturels et créatifs des Olivettes revendiquent leur indépendance vis-à-vis des institutions et leur appartenance au « vrai » quartier créatif de Nantes qu’ils présentent comme le quartier de la création historique et off.

Photo 2 – Le bâtiment de La Fabrique dans le Quartier de la Création

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Crédit photo : Basile Michel, 2015

7Cela illustre, à Nantes comme ailleurs, que la « ville créative », si tant est qu’elle existe, peut se déployer largement en-dehors des périmètres institutionnels, et que les stratégies politiques mobilisant ce modèle instrumentalisent la culture afin de faciliter l’avancée des projets urbains, contribuant ainsi à la mutation socio-urbaine des quartiers qu’elles ciblent.

Pour citer ce document

Basile Michel, 2020 : « Les dessous de la ville créative à Nantes : les quartiers de la création in et off », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 10/04/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=413, DOI : en attente.

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Bibliographie

Bonnin J-L., Caro O. et Pignot L., « Le « Quartier de la création » : un cluster en émergence », L’Observatoire, n° 36, 2010, p. 63-68. DOI : 10.3917/lobs.036.0063

D’Ovidio M., The creative city does not exist. Critical essays on the creative and cultural economy of cities, Milan, Ledizioni, 2016.

Michel B., Les quartiers créatifs : une dynamique de club. Analyse croisée des quartiers des Olivettes (Nantes), du Panier (Marseille) et Berriat (Grenoble), thèse de doctorat en géographie, Université d’Angers, 2017.

Michel B., « Dynamiques de réseau et image de marque dans les quartiers créatifs spontanés. Le cas du quartier des Olivettes à Nantes », Revue Marketing Territorial, n° 2, 2019, http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=309.

Petiteau J-Y., Nantes, récit d’une traversée. Madeleine-Champ-de-Mars, Paris, Carré, 2012.

Roy E., « La mise en culture des friches urbaines. Territoires en transition à Nantes », Les Annales de la recherche urbaine, n° 97, 2004, p. 121-126. DOI : 10.3406/aru.2004.2585

Index géographique

Basile Michel

Maître de conférences en Géographie, Cergy Paris Université, EA 4113 Mobilités Réseaux Territoires Environnement (MRTE), UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

L’instauration du Quartier de la Création officiel en 2011 consacre le tournant culturel puis créatif pris par Nantes afin de s’affirmer comme une métropole attractive. Cet étendard de la « ville créative » n’a pour autant pas conduit à la disparition du quartier de la création historique de la ville : celui des Olivettes. Deux quartiers « créatifs » cohabitent donc de manière originale au sein de la même ville, l’un porté par l’institution (le in), l’autre revendiquant au contraire son indépendance (le off).

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