Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive (1/2). Une approche par les indices de ségrégation

par François Madoré et Christophe Batardy

planche publiée le 11 février 2022

Les travaux portant sur la division sociale de l’espace sont souvent marqués par une faible profondeur historique, mais ils permettent cependant de connaître l’état, à un instant T, de l’inégale répartition des groupes socioprofessionnels dans les mondes urbains. Alors que les « fractures géographiques » de la société française sont souvent évoquées dans le débat public sur un mode sensationnaliste, cette planche propose une analyse de l’évolution des divisions socioprofessionnelles de l’aire urbaine nantaise sur quarante ans (1975-2015), afin de mesurer précisément les dynamiques en cours.

1Pour établir les dynamiques d’évolution de la ségrégation socioprofessionnelle de l’aire urbaine nantaise, une première approche consiste à mesurer les variations des niveaux de concentration et de distance résidentielles des groupes socioprofessionnels, en calculant leurs indices de ségrégation et de dissimilarité. Le premier mesure l’inégale concentration spatiale d’un groupe socioprofessionnel et le second la distance spatiale séparant deux groupes entre eux. Ces deux indices varient entre 0 et 100 : plus l’indice de ségrégation d’un groupe est élevé et plus il est concentré spatialement ; plus l’indice de dissimilarité entre deux groupes est fort et plus la distance spatiale les séparant est également importante.

Une inégale diminution des indices selon les groupes socioprofessionnels

2Entre 1975 et 2015, la moyenne des indices de ségrégation et de dissimilarité des cinq groupes socioprofessionnels d’actifs est en forte diminution dans l’aire urbaine de Nantes, avec un recul d’environ 40 % (figures 1 et 2). Une déconcentration socio-résidentielle et une atténuation significative des oppositions socio-spatiales seraient donc à l’œuvre.

3Cette déconcentration concerne quatre groupes socioprofessionnels (figure 1). La baisse la plus importante (30 points) est enregistrée par le groupe des travailleurs indépendants, qui comprend les agriculteurs dont la géographie périphérique est très spécifique et affiche en 1975 l’indice le plus élevé. Ensuite, les indices de ségrégation des professions intermédiaires et des employés enregistrent une baisse comprise entre 11 et 14 points, tandis que l’indice de ségrégation des cadres diminue de 10 points). Seul le groupe des ouvriers fait exception avec un indice stable.

Figure 1 - L’évolution des indices de ségrégation des groupes socioprofessionnels d’actifs dans l’aire urbaine de Nantes entre 1975 et 2015

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4Les indices de dissimilarité sont quant à eux tous en diminution entre 1975 et 2015 (figure 2). Les baisses les plus fortes concernent le groupe des indépendants avec les autres, ce qui est cohérent avec la forte diminution de l’indice de ségrégation de ce groupe. L’indice comparant la distribution spatiale des employés et des ouvriers diminue également de façon significative. Quant aux autres indices, ils diminuent dans des proportions bien moindres. Cette déconcentration socio-résidentielle n’est guère spécifique à Nantes, car les très rares travaux ayant observé l’évolution de la ségrégation sociale révèlent une tendance générale à la diminution des indices de ségrégation dans toutes les agglomérations françaises, hormis celle de Paris.

Figure 2 - L’évolution des indices de dissimilarité des groupes socioprofessionnels d’actifs dans l’aire urbaine de Nantes entre 1975 et 2015

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Une hiérarchie des indices transformée par les mutations de la structure sociale

5Du fait de cette évolution contrastée des indices des différents groupes d’actifs, leur hiérarchie a été bouleversée en quarante ans, en lien avec les évolutions de la structure sociale de l’aire urbaine nantaise. Le groupe des indépendants, de loin le plus concentré spatialement en 1975 (indice de ségrégation de 46), n’apparait plus en 2015 qu’au troisième rang (indice de 17). Cette évolution est à mettre en lien avec la poursuite de l’effondrement des agriculteurs, qui ne représentent plus que 13 % des effectifs des indépendants en 2015, contre la moitié encore quarante ans plus tôt. Ce groupe est donc désormais composé pour l’essentiel d’artisans, de commerçants et de chefs d’entreprises, dont la répartition sur le territoire de l’aire urbaine est bien plus homogène que celle des agriculteurs, concentrés presque exclusivement dans la couronne périurbaine.

6L’indice de ségrégation et les trois indices de dissimilarité les plus élevés concernent dorénavant les cadres. C’est l’antinomie entre les cadres et les ouvriers, déjà forte en 1975, qui constitue en 2015 la dimension la plus structurante de l’espace socio-résidentiel de l’aire urbaine nantaise, avec un indice de dissimilarité de 37, soit dix points de plus que les indices opposant les cadres aux indépendants et aux employés. Ces résultats ne sont guère singuliers, tant les oppositions entre classes supérieures et populaires constituent une constante dans la ségrégation sociale des villes françaises. Toutefois, si les cadres présentent les indices les plus élevés en 2015, ils sont néanmoins orientés à la baisse, ce qui n’est pas sans lien avec la progression spectaculaire de ce groupe. Les cadres étant bien plus nombreux aujourd’hui, leur diffusion spatiale s’est considérablement élargie, d’où une diminution de leurs indices de ségrégation et de dissimilarité.

7L’indice de ségrégation des ouvriers étant le seul à ne pas avoir diminué entre 1975 et 2015, il pointe désormais au deuxième rang, juste derrière celui des cadres. Relativement aux autres, la concentration spatiale des deux groupes situés aux extrémités de la hiérarchie socioprofessionnelle s’est donc affirmée, et ces deux groupes sont désormais les seuls à présenter un indice supérieur à 20. Ils connaissent toutefois des dynamiques diamétralement opposées en termes d’évolution numérique, car si la part des cadres a explosé, celle des ouvriers est en forte diminution sur toute la période.

Pour citer ce document

François Madoré et Christophe Batardy, 2022 : « Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive (1/2). Une approche par les indices de ségrégation », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 11/02/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=702, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.702.

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Bibliographie

Botton H., Cusset P.-Y., Dherbécourt C., George A., L’évolution de la ségrégation résidentielle en France : 1990-2015, Paris, France Stratégie, 2020, https://www.strategie.gouv.fr/publications/evolution-de-segregation-residentielle-france.

Garat I., « La Sociologie de Nantes vue par une géographe », Métropolitiques. https://www.metropolitiques.eu/La-Sociologie-de-Nantes-vue-par-une-geographe.html

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Préteceille E., « Dynamique et diversité des classes moyennes dans la métropole parisienne », J.-Y. Authier, A. Collet, C. Giraud, J. Rivière, S. Tissot (dir.), Les bobos n’existent pas, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2018, 119-149.

Rivière J., Madoré M., Batardy C., Garat I, Raimbault N., « Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive. Le cas de l’aire urbaine de Nantes (1975-2015) », Cybergeo : European Journal of Geography. DOI : 10.4000/cybergeo.36572

Glossaire

François Madoré

Professeur de Géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

Les travaux portant sur la division sociale de l’espace sont souvent marqués par une faible profondeur historique, mais ils permettent cependant de connaître l’état, à un instant T, de l’inégale répartition des groupes socioprofessionnels dans les mondes urbains. Alors que les « fractures géographiques » de la société française sont souvent évoquées dans le débat public sur un mode sensationnaliste, cette planche propose une analyse de l’évolution des divisions socioprofessionnelles de l’aire urbaine nantaise sur quarante ans (1975-2015), afin de mesurer précisément les dynamiques en cours.

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