Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les rues privées : entre banalisation géographique et poches de concentration

par François Madoré

planche publiée le 12 novembre 2019

Les rues privées sont certes minoritaires dans nos villes, mais elles questionnent d’autant plus le vivre-ensemble qu’elles représentent parfois une part importante de la voirie urbaine. Près d’un quart des voies (en particulier des impasses) couvrant les 24 communes de Nantes Métropoles ont ainsi un statut privé. Ces rues privées sont présentes partout, tout en étant très inégalement réparties d’une commune à l’autre et au sein même du territoire de ces communes. Que révèle leur géographie ?

Quand voie privée ne rime pas toujours avec privatisation de l’espace

1L’essentiel des voies qui parcourt les villes françaises sont publiques, mais certaines ont un statut privé. Elles appartiennent aux riverains, qui peuvent privilégier différentes formules juridiques pour les gérer et les entretenir : association syndicale autorisée ou libre, syndic de copropriété ou encore association loi 1901. Sauf très rares exceptions, ces rues privées ne sont pas le fruit d’un processus de privatisation de l’espace, mais bien d’une non-rétrocession au domaine public de voies qui ont toujours été sous statut privé.

2Nantes Métropole ayant en charge cet enjeu des voies privées depuis janvier 2001, une base de données disponible en opendata permet de connaître le statut juridique de chaque voie. 11 590 voies sont enregistrées en juillet 2019 et celles-ci sont classées selon trois critères : la dénomination de la voie avec cinq principales catégories réunissant 84 % des dénominations (par ordre d’importance décroissante rue, impasse, avenue, allée, chemin) ; le statut juridique de la voie ; la commune où est située cette dernière.

Un quart de voies privées, mais de fortes variations communales

32 719 voies privées sont recensées sur le territoire de Nantes Métropole en juillet 2019, soit quasiment un quart des voies (23 %), ce qui représente seulement 12 % du linéaire total car une voie privée est en moyenne moitié moins longue qu’une voie publique. Le croisement entre le type de dénomination et le statut juridique révèle une surreprésentation d’impasse parmi les voies privées : 20 %, contre 7 % parmi les voies publiques. Cette proportion n’est guère surprenante, car l’impasse est moins souvent rétrocédée au domaine public : elle répond moins à la notion d’intérêt général en raison de son intégration limitée au réseau de voirie urbaine et la volonté des riverains n’est pas toujours de favoriser cette intégration.

4La proportion de voies privées varie beaucoup d’une commune à l’autre au sein de Nantes Métropole (figure 1). Sautron apparaît largement en tête (40 %), suivie par Nantes (32 %). Puis, avec 27-28 %, nous trouvons quatre communes de la banlieue est et nord, de Basse-Goulaine à La Chapelle-sur-Erdre, en passant par Sainte-Luce et Thouaré-sur-Loire. À l’opposé, la majorité des communes du sud-Loire ont bien moins de voies privées, avec un taux compris entre 5 % (Brains) et 17 % (Bouguenais). Ces clivages géographiques recoupent des oppositions sectorielles dans la division sociale de l’espace : ainsi, la proportion de voies privées par commune et le taux de cadres et professions intellectuelles supérieures sont liés statistiquement, ce qui signifie que les communes concentrant le plus de voies privées sont aussi celles qui rassemblent le plus de cadres.

Figure 1 : Des voies privées plutôt dans les communes Nord-Loire

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Source : Nantes Métropole, opendata, juillet 2019

Des voies privées partout mais des poches de concentration

5La cartographie très fine des voies privées sur le territoire de Nantes Métropole montre le caractère diffus du phénomène (figure 2). Par exemple, sur la commune de Nantes, hormis le centre-ville où on en trouve relativement peu, les voies privées sont nombreuses aussi bien dans les quartiers péricentraux constitués au XIXe siècle que dans les secteurs périphériques urbanisés ces dernières décennies. Cette ubiquité va de pair toutefois avec des poches de concentration assez marquées, ce qui confère à ces secteurs les caractéristiques de « quartiers privés ». La commune de Sainte-Luce en offre une bonne illustration : elle fait partie des communes ayant la plus forte proportion de voies privées (27 %), mais celles-ci sont présentes surtout dans la partie nord-est de la commune.

Figure 2 : Les voies privées entre dispersion et concentration

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Source : Nantes Métropole, opendata, juillet 2019

Des voies privées rarement fermées

6Le statut privé d’une voie ne prédétermine pas son usage. Si certaines ne se distinguent pas des rues publiques car elles sont ouvertes, d’autres sont fermées par la pose d’une grille, d’une chaîne, d’un portail, voire symboliquement par un panneau rappelant l’interdiction d’accès. À la privatisation de droit se surimpose dans ce cas une privatisation d’usage, ce qui génère une enclave résidentielle fermée à l’accès exclusif. La base de données de Nantes Métropole ne permet pas d’observer la fermeture ou non des voies privées, et seule une enquête de terrain permettrait de quantifier le phénomène. Cette quantification avait été réalisée en 2006 à l’échelle de la seule commune de Nantes. Elle avait révélé qu’une petite minorité seulement des voies privées (11 %) était fermée physiquement et que 19 % présentaient une suggestion de fermeture par la pose d’un panneau marquant une interdiction d’entrée. Au total, 30 % des voies privées de la commune de Nantes étaient donc caractérisées en 2006 par un système de restriction d’accès. C’est essentiellement la volonté de limiter les inconvénients liés à l’usage (circulation et stationnement) de la voiture qui amène les propriétaires à fermer ou à restreindre l’accessibilité d’une voie privée, comme cela a été constaté également dans d’autres villes, à Lyon, Paris ou Marseille.

https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/68d2a6ed-7067-11eb-bc24-3944d216ce34/

Pour citer ce document

François Madoré, 2019 : « Les rues privées : entre banalisation géographique et poches de concentration », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 29/10/2019, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=215, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.215.

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Bibliographie

Billard G., Chevalier J., Madoré F., Vuaillat F., 2011, Quartiers sécurisés : un nouveau défi pour la ville ?, Paris, Les Carnets de l’info, 205 p.

Charmes É., 2005, La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’Harmattan.

Dorier E., Dario J., 2018, « Les espaces résidentiels fermés à Marseille, la fragmentation urbaine devient-elle une norme ? », L’Espace géographique, n° 4, p. 323-345.

Joinet H., 2000, « La délicate gestion des voies privées urbaines », Études foncières, n° 88, p. 24-28.

Le Gallic Y., Madoré F., 2008, « Les voies privées à Nantes », Cahiers Nantais, n° 2, p. 5-13.

Vuaillat F., 2012, « Les rues fermées : du collectif à la collectivité. Regards croisés Nantes/Recife », Articulo, n° 8, http://articulo.revues.org/1925.

Index géographique

François Madoré

Professeur de Géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

Les rues privées sont certes minoritaires dans nos villes, mais elles questionnent d’autant plus le vivre-ensemble qu’elles représentent parfois une part importante de la voirie urbaine. Près d’un quart des voies (en particulier des impasses) couvrant les 24 communes de Nantes Métropoles ont ainsi un statut privé. Ces rues privées sont présentes partout, tout en étant très inégalement réparties d’une commune à l’autre et au sein même du territoire de ces communes. Que révèle leur géographie ?

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