Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Embourgeoisement et/ou gentrification de l’espace nantais, de quoi parle-t-on ?

par Jean Rivière et Christophe Batardy

planche publiée le 14 mars 2022

À Nantes comme dans la plupart des métropoles attractives, l’embourgeoisement ou la gentrification de l’espace urbain sont de plus en plus évoqués dans le débat public local, tout comme leurs effets en matière d’exclusion des classes populaires à mesure que les prix de l’immobilier augmentent. Dans le prolongement de la lecture évolutive des divisions socioprofessionnelles dans l’aire urbaine, cette planche revient plus en détail sur les quartiers qui connaissent différents types d’embourgeoisement, afin de bien comprendre de quoi il est question.

1Le terme de gentrification désigne une forme spécifique d’embourgeoisement décrivant la transformation de quartiers populaires progressivement appropriés par des habitants placés plus haut dans les hiérarchies scolaires et socioprofessionnelles (et souvent plus jeunes). Mais d’autres modalités d’embourgeoisement existent, notamment celles qui correspondent à des quartiers déjà aisés où la concentration des classes supérieures et des fractions hautes des classes moyennes se renforce encore dans le temps.

2Distinguer ces processus implique de prendre une certaine profondeur historique pour mesurer et qualifier les dynamiques à l’œuvre. Selon la présence des différents groupes socioprofessionnels, c’est justement ce qu’a permis une analyse quantitative reconstituant les trajectoires des IRIS et communes de l’aire urbaine nantaise depuis le milieu des années 1970. Parmi l’ensemble des processus dévoilés par cette analyse, cette planche s’attache à décrire les trois formes d’embourgeoisement observées dans la métropole nantaise, et à en dresser une cartographie (figure 1).

Des quartiers qui connaissent des trajectoires de gentrifications

3La classe « gentrifications » regroupe d’abord des secteurs dont les trajectoires sont assez hétérogènes. Si tous ces quartiers sont plus ou moins populaires dans les années 1970, ils sont désormais tous « aisé » ou « très aisé ». Ancien village de pêcheurs de Rezé, le quartier de Trentemoult connaît par exemple une gentrification spectaculaire depuis les années 1990. La part des ouvriers s’y est effondrée entre 1975 et 2015, passant des deux tiers à moins d’un dixième, tandis que celle des cadres a décuplé pour atteindre 40 %. Dans le secteur central Madeleine - Champs de Mars, le profil populaire initial comprend une part élevée d’indépendants en 1975, et donc des locaux d’activité constituant un stock immobilier à reconvertir. Le secteur commence à se gentrifier dès les années 1980 et fait l’objet de la première ZAC importante de l’équipe municipale de J.-M. Ayrault, puis s’affirme comme le quartier créatif off face à l’officiel « quartier de la création » planifié sur l’île de Nantes. Les bastions historiquement ouvriers de Chantenay et Doulon se gentrifient également à partir des années 1990, tout comme quelques IRIS de Vertou ou Saint-Sébastien sur les bords de la Loire ou de la Sèvre nantaise, dont les aménités sont propices aux gentrifications. Enfin, certains quartiers centraux aux profils initialement moins ouvriers sont tout de même rattachés à cette classe et mitent le pôle des beaux quartiers, comme l’IRIS de Bretagne qui fait partie du secteur sauvegardé et où la gentrification date des années 1980.

Figure 1 - Trois formes d’embourgeoisement dans la métropole nantaise

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Des quartiers concernés par des trajectoires d’embourgeoisement modéré

4La classe « embourgeoisement modéré » comprend ensuite 18 IRIS localisés au nord-ouest de Nantes et dans leur prolongement à Sautron, La Chapelle-sur-Erdre et Orvault, le long des berges de la Chézine, du Gesvres et de l’Erdre qui ont successivement fait l’objet d’une appropriation par les classes moyennes et supérieures. En 1975, ces espaces sont déjà ceux qui accueillent les plus fortes surreprésentations de cadres voire de professions intermédiaires, et ils connaissent ensuite un embourgeoisement léger jusqu’à la fin des années 1990. Mais à l’orée de la décennie 2000 et alors que le processus d’embourgeoisement marque le pas dans les secteurs centraux les plus prisés décrits ensuite, il reprend au contraire dans ces quartiers nord-ouest, dont on peut penser qu’ils absorbent une partie des classes moyennes et supérieures ne parvenant pas à trouver un logement ajusté à leurs attentes au sein des espaces les plus valorisés du centre-ville.

Des quartiers marqués par des trajectoires d’embourgeoisement accéléré

5Dernière pièce du puzzle, le groupe « embourgeoisement accéléré » correspond à une trajectoire voisine de la précédente mais plus tranchée et avec des temporalités différentes. Initialement un peu moins aisés que ceux qui viennent d’être décrits, ces 21 IRIS (surtout situés dans le centre-ouest nantais voire dans les riches communes du nord de l’agglomération) ont connu un très fort embourgeoisement entre 1975 et 1990 : la part des cadres y est multipliée par deux, mais elle stagne depuis 2007 à un peu plus de 35 %. Dans les années 2000-2010, le processus d’embourgeoisement semble donc arriver à saturation dans ces beaux quartiers, probablement en raison de la présence de petits logements difficiles à reconvertir conformément aux attentes des classes moyennes et supérieures.

6Au total et sur une période de quarante ans au cours de laquelle les cadres progressent de 13 points dans la structure socioprofessionnelle de l’aire urbaine nantaise (et de 8 points à l’échelle nationale), la croissance des cadres s’élève à 22 points dans la classe « embourgeoisement accéléré », à 20 dans le groupe « gentrifications » et à 16 dans le profil « embourgeoisement modéré ». Les processus d’embourgeoisement les plus marqués ont donc d’abord lieu dans les espaces déjà aisés, puis dans ceux en cours de gentrification, confirmant les constats opérés dans l’espace francilien.

Pour citer ce document

Jean Rivière et Christophe Batardy, 2022 : « Embourgeoisement et/ou gentrification de l’espace nantais, de quoi parle-t-on ? », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 14/03/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=711, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.711.

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Bibliographie

Chabrol M., Collet A., Giroud M., Launay L., Rousseau M., Ter Minassian H., Gentrifications, Paris, Amsterdam Editions, 2016.

Clerval A., Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013.

Collet A., Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction, Paris, La Découverte, 2015.

Rivière J., Madoré M., Batardy C., Garat I, Raimbault N., « Les divisions socioprofessionnelles en mouvement d’une métropole attractive. Le cas de l’aire urbaine de Nantes (1975-2015) », Cybergeo : European Journal of Geography, document 975, 2021. DOI : 10.4000/cybergeo.36572

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Jean Rivière

Maître de conférences en géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Jean Rivière

Résumé

À Nantes comme dans la plupart des métropoles attractives, l’embourgeoisement ou la gentrification de l’espace urbain sont de plus en plus évoqués dans le débat public local, tout comme leurs effets en matière d’exclusion des classes populaires à mesure que les prix de l’immobilier augmentent. Dans le prolongement de la lecture évolutive des divisions socioprofessionnelles dans l’aire urbaine, cette planche revient plus en détail sur les quartiers qui connaissent différents types d’embourgeoisement, afin de bien comprendre de quoi il est question.

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