Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

La Loire, et si on s’y (re)baignait à Nantes ?

par Caroline Wypychowski

planche publiée le 17 décembre 2020

Le réaménagement des fronts d’eau est classique dans les villes qui se veulent attractives, mais l’usage du cours d’eau lui-même reste souvent en marge de ces opérations. Très peu de nantais·e·s pensent à se baigner dans la Loire vue comme sale, dangereuse, ces idées reçues légitimant les interdictions de baignades. Et si, dans le contexte de réchauffement climatique, ce « décor » agréable qu’est la Loire dans la ville redevenait praticable comme il l’a été au siècle passé ? Et si la réinvention de la baignade à Nantes nous permettait de renouer avec le fleuve urbain ?

Souvenirs de bains en Loire

Figure 1 - Baignade et apprentissage de la natation en plein coeur de Nantes du milieu du 19e au milieu du 20e siècle

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1Il semble loin le temps où l’on n’hésitait pas à piquer une tête dans la Loire. Et pourtant l’arrêt de toutes activités de baignades autorisées dans la métropole nantaise date seulement des années 1970 avec la fermeture de la plage de Saint-Sébastien. C’est au XIXe siècle que la baignade devient une pratique reconnue à Nantes. On voit alors apparaitre des bateaux-bains amarrés aux quais de la Loire, lieux de loisir et d’apprentissage de la natation (figure 1), tandis que « les trains du plaisir » amènent les citadin·e·s aux plages aménagées sur les bords de Loire en amont de Nantes (figure 2) : à Saint-Luce, Thouaré, Mauves, etc… Et les Roquios, bateaux à vapeur qui servent de transport en commun sur la Loire jusque dans les années 1960, conduisent les nantais à la plage de Trentemoult et ses guinguettes.

Figure 2 - Les plages de Loire, lieux de villégiature du milieu du 19 e jusqu'aux années 1970

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2De la simple zone délimitée par des bouées à la plage offrant de multiples divertissements en passant par l’établissement de bains sophistiqué, la pratique est réglementée, pour des questions de sécurité et de décence, mais sans souci de qualité de l’eau. Cependant, le rapport de la ville et ses habitants au fleuve va se trouver peu à peu transformé par des changements paysagers et sociétaux.

La Loire change de visage

3La Loire qui coule aujourd’hui à Nantes n’a pas le même aspect qu’autrefois car elle a subi de lourdes modifications anthropiques. Depuis les débuts de l’industrialisation, l’estuaire de la Loire a été canalisé pour les besoins des activités portuaires. Ensuite, des bras de la Loire ont été comblés à Nantes entre 1926 et 1946 pour, soi-disant, enrayer l’insalubrité et empêcher l’effondrement de quais et de ponts, mais surtout pour y étendre la ville. Conséquences : enfoncement du lit du fleuve, remontée de l’onde de marée et du bouchon vaseux, amplification du marnage, du courant et de la salinité, envasement des berges et des quais… « On a vu la Loire devenir marron » racontent ainsi d’ancien·ne·s nageur·e·s de Loire. Les risques sanitaires consécutifs à cette transformation des usages du fleuve sont dès lors pointés du doigt, contribuant à la disparition des bains en Loire. Progressivement, les plages de sables se transforment en plages de vase et les municipalités interdisent la pratique.

4En parallèle, la baignade en ville est concurrencée par le balnéaire. Le bord de mer se démocratise et attire un tourisme de masse à partir des années 1960. Les fleuves et les rivières sont alors délaissés par les baigneur·euse·s au profit de la mer. Ces dernier·e·s commencent également à goûter au plaisir de l’eau claire des piscines municipales. La piscine de l’île Gloriette, alors à ciel ouvert, est inaugurée en 1951 et devient l’unique lieu de pratique de la natation dans le centre de Nantes (photo 1). Enfin la piscine privée s’invite dans certains jardins, transformant la baignade en une pratique individuelle.

Photo 1 - Les débuts de la baignade en eau chlorée dans la piscine en plein air de l’île Gloriette

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Crédits photo : collection personnelle d’anciennes cartes postales de C. Wypychowski

Le retour de la baignade en ville ?

5Un retour en arrière n’est guère envisageable car la Loire ne pourra pas retrouver sa « forme d’antan », malgré les travaux de rééquilibrage de son lit menés par le Plan Loire Grandeur Nature. Les quais de Nantes, même si les nouveaux aménagements urbains renforcent leur lien à la Loire, ne retrouveront pas leur effervescence, où lavandières, baigneurs, pécheurs et ouvriers se côtoyaient.

6Pourtant, dans le contexte de réchauffement climatique, la baignade pourrait trouver une place à l’occasion d’opérations de balnéarisation des centres urbains et de « revalorisation écologique » des cours d’eau. Au début des années 2000, grâce à une politique environnementale très volontariste, Copenhague est l’une des premières villes européennes à offrir la possibilité à ses habitants de plonger dans l’eau de son canal, anciennement souillé par des activités industrielles et portuaires. En 2018, Paris aménage une zone de baignade dans le bassin de la Villette, engageant une démarche plus ambitieuse qui consisterait à rendre la Seine propice à la baignade d’ici 2024. Mais à l’heure où la sécurité prime, où l’amalgame entre noyade accidentelle et baignade est vite fait, les municipalités françaises peinent à imaginer une autorisation de la baignade en eau libre, aux risques et périls de chacun, comme c’est le cas partout en Suisse, y compris en ville (photo 2).

Photo 2 - À Berne comme dans d'autres villes de Suisse, on se baigne comme on fait du vélo

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Crédits photo : C. Wypychowski

7À Nantes, aucune action n’a été menée en faveur d’un retour en grâce de la baignade urbaine bien que la métropole s’est engagée à prévoir la mise en place d’une « piscine en bord de Loire ». Pendant ce temps, les citadin·e·s qui cherchent à se rafraichir en ville n’ont d’autres choix que d’entrer dans la transgression. À la saison estivale, de nombreuses baignades sauvages ont ainsi lieu dans la Loire et ses affluents. Si la baignade peut être vue comme un plaisir simple et un loisir de proximité, elle permettrait aussi de changer notre relation au fleuve. Elle convoque une dimension de connaissance et de respect des cours d’eau, puisque notre corps s’y retrouve vulnérable. Être usager de la Loire à Nantes nécessite de bien la connaitre, de savoir que, sous les effets de la marée, elle coule vers l’amont puis vers l’aval, monte puis redescend et est trouble car chargé en alluvions, utiles au maintien de ses écosystèmes. Ainsi, par la pratique consciente du fleuve, nous pourrons réellement « renouer » avec la Loire, au-delà des discours métropolitains attractifs.

Pour citer ce document

Caroline Wypychowski, 2020 : « La Loire, et si on s’y (re)baignait à Nantes ? », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 17/12/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=502, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.502.

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Bibliographie

Wypychowski C., Baignades Urbaines, Plongez au cœur des cours d’eau nantais, Barbe F. et Vigne M (dir.), Nantes, École nationale supérieure d'architecture de Nantes, 2018. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01997458

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Résumé

Le réaménagement des fronts d’eau est classique dans les villes qui se veulent attractives, mais l’usage du cours d’eau lui-même reste souvent en marge de ces opérations. Très peu de nantais·e·s pensent à se baigner dans la Loire vue comme sale, dangereuse, ces idées reçues légitimant les interdictions de baignades. Et si, dans le contexte de réchauffement climatique, ce « décor » agréable qu’est la Loire dans la ville redevenait praticable comme il l’a été au siècle passé ? Et si la réinvention de la baignade à Nantes nous permettait de renouer avec le fleuve urbain ?

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