Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Observer les oiseaux dans une métropole verte. Essor et diversification d’une pratique discrète de loisir de nature

par Sébastien Caillault et Véronique Beaujouan

planche publiée le 20 octobre 2021

La parenthèse du Covid 19 a été l’occasion de voir réaffirmées certaines préoccupations environnementales et des scènes surréalistes ont été observées (chevreuil en centre-ville, renards sur des ronds-points). Ces événements ne sont-ils pas des témoins des changements sociaux et de nos rapports à la nature? L’observation des oiseaux figure parmi les activités de loisirs de nature qui témoignent de ces évolutions. Si l’attractivité de Nantes passe notamment par le volet environnemental de ses politiques dans des espaces planifiés, la géographie des observateurs discrets permet-elle de dévoiler des pratiques hors des sentiers battus?

Ce travail a été mené dans le cadre d’un projet soutenu par ALM (Angers Loire Métropole), avec la participation de B. Marchadour (LPO Pays de la Loire) et A. Guetté (ISTOM), à partir des données de Faune Loire-Atlantique (LPO, Groupe naturalistes de Loire-Atlantique et Bretagne Vivante).

Les données d’observation entre pratiques associatives et sciences participatives

1Observer l’avifaune est un loisir qui est notamment mis en avant à travers les actions de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Parmi ces actions, un dispositif participatif d’acquisition de données naturalistes a été mis en place et permet aux citoyens qui le souhaitent d’alimenter une base de données référençant les lieux d’observation des différentes espèces d’oiseaux. Assez proches des protocoles de sciences participatives développés par exemple sous l’impulsion du Muséum National d’Histoire Naturelle, ces bases de données sont souvent utilisées pour appréhender les dynamiques biologiques. Sans observateurs, cette nature observée n’aurait pourtant pas d’existence.

2La sociologie de ces pratiques naturalistes reste un chantier à poursuivre, mais elle tend à montrer une surreprésentation d’hommes de plus de 50 ans dotés de diplômes de l’enseignement supérieur. Néanmoins et derrière ce portait, une diversité de profils existe, de la figure d’ornithologue expert à celle d’observateur du dimanche qui découvre un héron cendré sur les bords d’une rivière. Cette planche s’attache à décrire les principales évolutions de ces observations au cours des dix dernières années dans l’aire urbaine nantaise, et tente de comprendre les enjeux qu’elles soulèvent dans une métropole figure de proue de l’écologisation des territoires.

La nature de plus en plus observée par une diversité d’observateurs croissante

3Entre 2011 et 2020, plus de 1 million d’observations ont été déposées dans le périmètre de l’aire urbaine et plus de 90 % ont été exprimées par moins de 20 % des observateurs. Le nombre de personnes qui contribue à ces observations augmente de manière régulière sur cette période, l’année 2020 apparaissant comme exceptionnelle (figure 1). Elle semble en effet marquée par les confinements successifs liés à la crise du Covid 19 et par des personnes qui se sont davantage intéressées à ce type d’observation de la nature. En distinguant quatre groupes selon le nombre d’observations déposé par année (des contributeurs occasionnels aux plus assidus), il est possible d’observer à la fois une augmentation des observations et des observateurs. La part des contributeurs assidus décroît petit à petit, de sorte que l’on peut se demander si l’on n’assiste pas à une lente démocratisation de ce loisir de nature?

Figure 1 - Des observateurs de plus en plus nombreux qui contribuent à faire évoluer la diversité des pratiques naturalistes

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Des spots de nature ordinaires aux espaces délaissés

4En cartographiant les lieux d’observation en fonction du nombre d’oiseaux observés, on remarque le tropisme de ces pratiques naturalistes vers les milieux de rivières et de marais, ainsi que l’importance de la proximité aux espaces résidentiels (figure 2). La vallée de l’Erdre, le lac de Grand lieu ou les marais près de Couëron sont ainsi très investis. De manière plus discrète, certains massifs boisés sont aussi prisés et parfois un seul ornithologue assidu sur une commune peut fortement influencer le nombre d’observations produites, comme c’est le cas sur un site le long de la Sèvre Nantaise. À l’inverse, d’autres milieux semblent délaissés, à l’image des espaces agricoles à l’ouest de Nantes. La nature ordinaire n’intéresserait-elle pas les observateurs amateurs? Les lieux sont en fait observés de manière différenciée. En général, les lieux les plus observés sont principalement caractérisés par un taux important de grands contributeurs. Pour le lac de Grand lieu, qui est un espace d’observation important, et à nombre équivalent d’observations, il existe une différence structurante entre le sud du lac principalement fréquenté par des contributeurs assidus et le nord parcouru par une diversité d’observateurs plus importante. On peut aussi observer cette différenciation des types d’observateurs dans des zones plus urbaines à l’image de la zone industrielle Nantes Carquefou qui semble délaissée des observateurs chevronnés. La place des observatoires grands publics et l’accessibilité différente permettent de comprendre le rôle des infrastructures sur la nature des observations. Les routes reliant les trajets pendulaires travail/domicile sont par exemple des lieux privilégiés des observations menées par les ornithologues. De même, certains sentiers de randonnée qui concentrent des flux importants de randonneurs contribuent à fortement structurer les données des observateurs sur ces linéaires dédiés aux déplacements « doux ».

Figure 2 - Les vallées urbaines et les marais comme principaux lieux d’observation

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Les données d’observations sont le résultat des observations déposées par les naturalistes de la LPO sur des base de données locales (cf. type Faune France). Les données ponctuelles ont été agrégées dans des mailles de 1 km pour la cartographie à l’échelle de l’aire urbaine.

Une pratique naturaliste en plein essor qui dévoile des fortes polarités

5Le dispositif participatif dévoile aussi un certain engouement pour ce type de pratiques de loisirs de nature autour de Nantes. L’essor et la diversité des participants n’effacent toutefois pas les représentations dominantes dans nos sociétés, où l’eau reste un élément central pour appréhender ces pratiques naturalistes. D’autres lieux plus productifs, qui alimentent par exemple les paniers de légumes locaux, apparaissent délaissés par ces regards portés sur la nature. La géographie polarisée de ces observateurs discrets, entre lieux d’attention pour une certaine nature et lieux de production délaissés des promeneurs naturalistes, rappelle que la promesse du développement durable – conciliant production et protection de la nature – peine à trouver une réelle issue, y compris dans une métropole qui se veut pourtant attractive et vertueuse.

Pour citer ce document

Sébastien Caillault et Véronique Beaujouan, 2021 : « Observer les oiseaux dans une métropole verte. Essor et diversification d’une pratique discrète de loisir de nature », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 20/10/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=637, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.637.

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Bibliographie

Charvolin F., Les sciences participatives au secours de la biodiversité. Une approche sociologique, Paris, Editions rue d’Ulm, 2019.

Mormont M., « Écologisation: entre sciences, conventions et pratiques », Natures Sciences Sociétés, vol. 21, n° 2, 2013, p. 159-160. DOI : 10.1051/nss/2013102

Couderchet L., Amelot X., « Faut-il brûler les Znieff? » Cybergeo : European Journal of Geography, document 498, 2010. DOI : 10.4000/cybergeo.23052

Index géographique

Sébastien Caillault

Maître de conférences, Géographe, Institut Agro-Angers, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Maître de conférences, Géomaticienne, Institut Agro-Angers, UMR Biodiversité, Agroécologie et Aménagement du Paysage (BAGAP)

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Résumé

La parenthèse du Covid 19 a été l’occasion de voir réaffirmées certaines préoccupations environnementales et des scènes surréalistes ont été observées (chevreuil en centre-ville, renards sur des ronds-points). Ces événements ne sont-ils pas des témoins des changements sociaux et de nos rapports à la nature? L’observation des oiseaux figure parmi les activités de loisirs de nature qui témoignent de ces évolutions. Si l’attractivité de Nantes passe notamment par le volet environnemental de ses politiques dans des espaces planifiés, la géographie des observateurs discrets permet-elle de dévoiler des pratiques hors des sentiers battus?

Annexes (1)

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