Le retour en grâce du tramway... sans remise en cause de l’hégémonie de la voiture
par François Madoré
Table des matières
Le tramway est devenu un mode de transport à la mode dans les villes françaises à partir des années 1980, après avoir quasiment disparu pendant deux à trois décennies. Nantes symbolise ce renouveau, car elle a été pionnière et possède l’un des réseaux les plus importants en France. Toutefois, cette politique volontariste a tout juste maintenu constante la part des transports en commun dans les déplacements des nantais et n’a pas remis fondamentalement en cause l’hégémonie de l’automobile.
Du démantèlement à la réintroduction du tramway
1 Le 29 janvier 1958, le « péril jaune » nantais nom donné au tramway en raison des motrices jaunes et de sa dangerosité, cesse de fonctionner. Il est jugé obsolète, limitant la place de l’automobile qui se démocratise très rapidement. En France, seules Lille, Marseille et Saint-Étienne conservent une ligne. Toutefois, le tramway va assez vite revenir en grâce et Nantes sera la première agglomération française à le réintroduire en 1985. Plusieurs facteurs expliquent cette réhabilitation, en particulier l’engorgement croissant du trafic routier urbain en lien avec la croissance exponentielle du parc automobile et la montée progressive des préoccupations environnementales. En 1975, les pouvoirs publics lancent le concours Cavaillé, du nom du secrétaire d’État aux Transports, avec pour objectif de promouvoir une conception renouvelée du tramway, conçu comme un transport collectif en site propre (TCSP). Huit grandes villes sont retenues par ce concours, mais Nantes n’en fait partie.
2La prééminence nantaise résulte donc d’un choix politique local. Alain Chenard, maire socialiste de Nantes élu en 1977, fait de la construction du tramway l’une des réalisations emblématiques de son mandat. Ironie du sort, il perd l’élection de 1983 en partie sur cette question, la liste de droite de Michel Chauty catalysant les anti-tramways alors nombreux. Cependant, si le nouvel édile avait promis d’arrêter le chantier du tramway, celui-ci est trop engagé et la ligne 1 est mise en service le 7 janvier 1985. Le retour en 1989 de la gauche au pouvoir municipal, avec Jean-Marc Ayrault, donne une nouvelle impulsion au tramway nantais, avec l’inauguration de la ligne 2 en 1992, puis de la ligne 3 en 2000. Ces trois lignes atteignent 41 kilomètres, ce qui en fait le septième réseau français en longueur mais le quatrième en nombre de voyageurs transportés, sachant que le tramway représente la moitié du trafic de la Semitan, l’exploitant des transports en commun nantais (figure 1).
Figure 1 - Le tramway, la moitié du trafic en transport en commun à Nantes
3Nantes a montré la voie, car 27 agglomérations françaises sont dotées d’un tramway en 2021, dont 20 l’ayant adopté entre 2000 et 2014, période faste s’il en est. Désormais, 16 des 20 premières unités urbaines possèdent un tramway, sachant que parmi les quatre qui en sont dépourvues, Rennes a fait le choix du métro. Au total, ces réseaux totalisent 810 kilomètres, l’agglomération parisienne ayant le réseau le plus étendu (128 km), avec ses dix lignes le long des boulevards des Maréchaux et en banlieue (figure 2).
Figure 2 - Nantes, ville pionnière du tramway en France et septième réseau par la longueur
Un outil de requalification urbaine
4 La construction du tramway nantais, comme dans bien d’autres villes, est à la croisée d’une politique de mobilité et d’aménagement urbain. Le réseau dessine un quadrillage en étoile avec un nœud central (place du Commerce) vers lequel convergent les trois lignes qui relient le centre-ville à la périphérie, en particulier les quartiers d’habitat social (Bellevue et Nantes Est, Château de Rezé et quartiers Nord) mais aussi l’université, ciblant ainsi les populations (classes populaires, étudiants) les plus dépendantes des transports en commun (figure 3).
Figure 3 - Un réseau en étoile desservant notamment les quartiers périphériques d’habitat populaire et l’université
5 Si le choix de réintroduire le tramway a contribué à la défaite électorale de la municipalité Chenard en 1983, c’est très largement parce que ce mode de transport en site propre réduit la place de la voiture tout en offrant l’opportunité de requalifier l’espace public. L’exemple du cours des Cinquante-Otages en offre une éclairante illustration (photo 1). Depuis son réaménagement en 1993, cette artère emblématique présente un visage très différent, étant dédié désormais principalement au tramway et aux mobilités douces (piétons et vélos), tandis que l’intégration d’un terre-plein central végétalisé de la place du Cirque jusqu’à l’Erdre a modifié radicalement l’espace public.
Photo 1 - Le tramway et la requalification urbaine du cours des Cinquante-Otages
Légende : vue sur le cours des 50-Otages depuis la tour Bretagne en 1995
Crédit photo : François Madoré
Une part pour les transports en commun stable malgré le tramway
6La réhabilitation du tramway à Nantes n’a cependant pas remis en cause l’hégémonie de l’automobile. Les enquêtes déplacements réalisées sur l’agglomération montrent que la part des transports en commun est très stable entre 1980 et 2015 et n’atteint que 15 %, soit un niveau proche de celui observé à Bordeaux, Grenoble, Strasbourg et Toulouse où l’offre de TCSP est importante également, tandis que la part de la voiture est quasiment quatre fois supérieure (figure 4). Certes, cette dernière a diminué de sept points depuis 2002, mais c’est principalement au profit de la marche. En fait, il n’y a que pour les moins de 24 ans, qui ne sont pas encore ou peu motorisés, que la part des transports en commun atteint un seuil plus significatif, en frôlant les 30 %, que, alors qu’elle chute à 10 % voire moins pour les autres catégories d’âge.
Figure 4 - Trois lignes de tramway... mais une part des transports en commun stable depuis 1980
7Au final, alors que Nantes a fortement investi dans un réseau de tramway, devenu l’une des vitrines de l’agglomération, cela n’y remet pas fondamentalement en cause la très forte prééminence de l’automobile. Les ambitions du Plan de déplacement urbain (PDU) 2018-2027 de Nantes Métropole sont d’ailleurs très modestes en la matière avec un objectif de 16 % de déplacements en transports en commun à l’horizon 2030... soit un point de hausse seulement en quinze ans !
Pour citer ce document
François Madoré, 2021 : « Le retour en grâce du tramway... sans remise en cause de l’hégémonie de la voiture », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 01/06/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=622, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.622.
Autres planches in : Habiter et se déplacer
Bibliographie
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Nantes Métropole, Plan de déplacements urbains 2018-2027, Perspectives 2030. https://metropole.nantes.fr/files/pdf/deplacement/nm-pdu.pdf
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Gagnière V. (2012), « Les effets du tramway sur la fréquentation du transport public. Un bilan des agglomérations françaises de province », Revue Géographique de l’Est, vol. 52, n° 1-2, 2012. DOI : 10.4000/rge.3508
Woessner R., 2019, « Du tramway au bus en site propre, récit géographique d’une passion urbaine française », Géoconfluences, septembre 2019. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-france-des-territoires-en-mutation/articles-scientifiques/tramway-bus-france .
Wolff J.-P., « Le tramway : au cœur des enjeux de gouvernance entre mobilité et territoires, Revue Géographique de l’Est, vol. 52, n° 1-2, 2012. DOI : 10.4000/rge.3498
Zembri P., « La conception des transports collectifs en site propre (TCSP) en France : des tracés problématiques ? », Revue Géographique de l’Est, vol. 52, n° 1-2, 2012. DOI : 10.4000/rge.3603
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