Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Risques et traces industriels dans la ville

par Christophe Batardy, Jean-Baptiste Bahers et Cécile Le Guern

planche publiée le 06 mai 2022

L’incendie de l’usine SEVESO Lubrizol à Rouen en 2019 est venu rappeler qu’une catastrophe industrielle est toujours possible dans les métropoles, malgré la tertiarisation de leur économie. Celle de Nantes, où sont localisés huit sites SEVESO et 211 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), n’échappe pas à ce risque. Par ailleurs, les anciens sites industriels nécessitent toujours une attention particulière, notamment à l’occasion de tout nouveau projet d’aménagement en raison des pollutions des sols potentiellement induites. Les métropoles n’ont donc pas définitivement tourné la page de l’industrie.

1Si l’ancienne usine Lu et les Chantiers navals ont été reconvertis en lieux culturels, il existe toujours des sites industriels en activité dans la métropole nantaise. Les 211 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à enregistrement ou autorisation, correspondant aux exploitations industrielles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances - notamment pour la sécurité et la santé des riverains -, sont plutôt implantées dans des zones d’activité comme à Saint-Herblain ou à Carquefou (figure 1) ou le long de la Loire aval, dans le corridor industrialo-portuaire issu de la révolution industrielle du XIXème siècle. La localisation des huit ICPE à haut risque que sont les sites SEVESO suit la même logique. L’un d’eux, la société Brenntag spécialisée dans le stockage de produits chimiques pour les entreprises de commerce de gros, est même qualifié de SEVESO « seuil haut » (figure 2).

Figure 1 - Sites ICPE et Seveso dans la métropole nantaise

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https://www.georisques.gouv.fr/donnees/bases-de-donnees/installations-industrielles

Un risque industriel qui n’a pas disparu

Figure 2 - Sites SEVESO et densité de population dans Nantes Métropole

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2Bien que ces installations classées SEVESO soient plutôt présentes dans des zones d’activité périphériques, une partie des espaces densément peuplés de la métropole est néanmoins située dans un rayon de quatre kilomètres autour de chaque site (figure 2). Non seulement le risque industriel existe donc dans la métropole nantaise, mais il a déjà été testé « grandeur nature » le 29 septembre 1987. Un nuage toxique s’étale alors sur cinq km, suite à un incendie dans une usine de stockage d’engrais (nitrate d’ammonium) située dans le port de Nantes. Le plan ORSEC est déclenché en raison du risque d’explosion et du nuage toxique. Entre 25 000 et 30 000 habitants de Saint-Herblain, Bouguenais, Couëron, Indre, La Montagne, Le Pellerin et Saint-Jean-de-Boiseau sont évacués. L’incendie est maîtrisé sans que les 850 tonnes de nitrate ne partent entièrement en fumée. Les vents orientés vers l’ouest éloignent le nuage vers Saint-Nazaire. Alain Carignon, Ministre de l’Environnement, tient une conférence de presse aux côtés de Charles Pasqua, Ministre de l’Industrie. Il déclare, pour rassurer la population, que « c’est une toxicité passagère… ce n’est pas comme avec la radioactivité quelque chose qui va rester ».

L’enjeu de la pollution des sols : l’espace emblématique de l’île de Nantes

3La question majeure de la pollution des sols a été considérée par une commission d’enquête sénatoriale comme le parent pauvre de la législation environnementale (rapport du 10 septembre 2020). Pointant l’absence de définition juridique de ce qu’est un sol pollué, les sénateurs y dénoncent la baisse des contrôles, l’absence d’une politique des sols et la nécessité d’aboutir à une « cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols ».

4Les anciens sites industriels ont pu induire des pollutions des sols. L’inventaire historique national BASIAS (base des anciens sites industriels et activités de service) recense ainsi sur la commune de Nantes la création de 1 935 sites industriels et activités de service entre 1850 et 2014, la période 1951-1990 concentrant les plus nombreuses créations de sites (figure 3). Cet inventaire est complété par la base de données BASOL (Base de données sur les sites et sols pollués), qui recense les sites pollués suivis par les pouvoirs publics. Sur l’île de Nantes, espace central qui a fait l’objet d’un grand projet d’aménagement engendrant de nombreuses opérations d’un projet d’aménagement emblématique, 543 sites ont été recensés sur BASIAS et 4 sur BASOL.

Figure 3 - Évolution de la création des sites industriels sur la commune de Nantes entre 1850 et 2014

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BASIAS vise à conserver la mémoire de la géolocalisation des anciens sites industriels et activités de service susceptibles d’avoir généré une pollution des sols pour pouvoir fournir des informations dans le cadre des projets d’aménagement et aider à la décision pour toutes transactions foncières afin de protéger les personnes et l’environnement.

5Jusqu’aux années 1990, l’île de Nantes a continué à accueillir de nouvelles activités comme des industries manufacturières et des activités de stockage (carburants, produits chimiques), avant de muter en l’un des plus importants chantiers urbains en France. La localisation sous forme de points de la base de données BASIAS (figure4) ne rend pas bien compte de l’emprise au sol des sites, mais avec l’évolution de la législation (cf. loi Alur), les surfaces des sites BASIAS sont progressivement renseignées, tout comme celles des sites BASOL. Pour l’île de Nantes, même si un inventaire historique urbain (IHU) a été mené et si un document public localise l’ensemble des sources de pollution potentielles recensées (BRGM/RP-66013-FR novembre 2016), aucune carte des risques de pollution des sols telle que préconisée par les sénateurs n’existe. Les pollutions sont gérées à l’occasion de chaque opération d’aménagement.

Figure 4 - Une cartographie incomplète des aléas de pollution des sols

https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/a45afc6c-ccac-11ec-adf8-53fbb85360b5/

Pour BASOL : (https://www.georisques.gouv.fr/donnees/bases-de-donnees/sites-et-sols-pollues-ou-potentiellement-pollues)

Pour BASIAS : (https://www.georisques.gouv.fr/donnees/bases-de-donnees/inventaire-historique-de-sites-industriels-et-activites-de-service)

6En l’absence de loi de protection des sols comme il en existe pour l’air et l’eau, la pollution des sols reste donc un risque invisible et peu discuté démocratiquement. Pour autant, il s’agit d’un lourd héritage des « Trente ravageuses », terme proposé par C. Bonneuil et S. Frioux dans l’ouvrage Une autre histoire des Trente Glorieuses pour prendre en compte le bilan environnemental et sanitaire de la période 1945-1975, et qui interroge la culture des potagers urbains sur des sols pollués.

7Le risque industriel a une histoire passée, présente et future. Pour l’appréhender pleinement au-delà des simples études techniques d’impacts, il faut envisager à la fois les dimensions économiques et sociales, et proposer un regard géographique avec de la profondeur historique. Cette perspective invite à développer les humanités environnementales des risques industriels, qui placeraient les sciences humaines et sociales au centre de l’appréhension des mutations industrielles et de leurs impacts socio-écologiques sur les territoires, en particulier sur les mondes urbains.

Pour citer ce document

Christophe Batardy, Jean-Baptiste Bahers et Cécile Le Guern, 2022 : « Risques et traces industriels dans la ville », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 06/05/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=754, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.754.

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Bibliographie

Bielakh H., « Sous les potagers nantais, la délicate question des sols contaminés », Médiacités, 13 janvier 2022. https://www.mediacites.fr/enquete/nantes/2022/01/13/sous-les-potagers-nantais-la-delicate-question-des-sols-contamines

Le Guern C., Coulon-Toutain A., « Approches socio-historique et juridique des sols (péri)urbains coordination », C. Mougin, F. Douay, M. Canavese, T. Lebeau, É. Rémy (dir.), Les sols urbains sont-ils cultivables ?, Paris, Éditions Quæ, 2020, p. 131-178.

Pessis C., Topçu S., Bonneuil C., Une autre histoire des « Trente Glorieuses », Paris, la Découverte, Paris, 2013.

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Jean-Baptiste Bahers

Géographe, Chargé de recherche CNRS, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Ingénieure-chercheure en Géosciences de l’Environnement à la direction régionale des Pays de la Loire du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

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Résumé

L’incendie de l’usine SEVESO Lubrizol à Rouen en 2019 est venu rappeler qu’une catastrophe industrielle est toujours possible dans les métropoles, malgré la tertiarisation de leur économie. Celle de Nantes, où sont localisés huit sites SEVESO et 211 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), n’échappe pas à ce risque. Par ailleurs, les anciens sites industriels nécessitent toujours une attention particulière, notamment à l’occasion de tout nouveau projet d’aménagement en raison des pollutions des sols potentiellement induites. Les métropoles n’ont donc pas définitivement tourné la page de l’industrie.

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