Note liminaire : Nous utilisons les termes « hommes » et « femmes » pour désigner toutes les personnes identifiées et/ou s’identifiant comme telles, afin de décrire et analyser ce système qu’il conviendra de dépasser. En effet,la déconstruction d’une vision binaire du genre laisse place à l’expression d’identités plurielles.
Table des matières
Le système de dénomination des rues s’inscrit dans une société patriarcale et a engendré dans nos rues une majorité de noms d’hommes. À ce jour, seules 223 rues sur plus de 3 200 portent un nom de femme à Nantes. Parmi ces noms de rues, des catégories spécifiquement féminines se distinguent. Des discriminations systémiques autres que le sexisme apparaissent. Penchons-nous sur qui sont les femmes représentées et qui sont celles qui ne le sont pas dans les rues de Nantes.
Le phénomène d’invisibilisation expliqué
1L’absence de noms de femmes sur les plaques de rues est concomitante avec l’absence de celles-ci dans l’écriture de l’Histoire. Ceci s’explique par un phénomène d’invisibilisation des femmes qui se joue conjointement dans l’espace public (par les noms de rues et la statuaire) et la sphère publique (par les médias et les institutions).
2Une idée préconçue souvent mise en avant pour expliquer l’absence des femmes dans l’écriture de l’histoire est que ni les positions valorisées, ni les études pour y parvenir ne leurs étaient accessibles. Cela correspond au mythe de la femme empêchée qui a pour effet de clore le débat et d’omettre une partie du mécanisme. La réalité est toute autre. Des femmes aux grands exploits ont été reconnues de leur temps, mais n’ont pas été retenues par l’Histoire qui nous est transmise aujourd’hui. La dévalorisation des professions dites féminines participe également de ce phénomène d’invisibilisation.
Les « visibles » des invisibles
3Commençons par brosser le portrait global des femmes dont les noms parent les rues nantaises. 58 % des femmes qui y donnent leur nom à des rues ont vécu au cours du XXe siècle (figure 1). Ce chiffre révèle l’évolution de la visibilité des femmes dans la mémoire collective, notamment à travers les mouvements de revendication des premières vagues féministes (droit de vote, égalité juridique, etc.) et l’importance des résistantes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, 26 % des femmes représentées par des noms de rues à Nantes ont marqué l’Histoire par leur engagement féministe et leurs combats pour les droits des femmes en France et dans le monde.
420 % des femmes nommées sont mises en avant pour avoir été la « première femme à … ». À priori positif, la pertinence de ce critère reste à relativiser tant il peut engendrer plusieurs dérives : réduire leur biographie à ce rôle de « première femme à », minimiser leur héroïsme et leurs accomplissements, invisibiliser celles qui ont parfois précédé et souvent suivi, créer des figures d’exceptions auxquelles il est difficile de s’identifier, etc. Ces chiffres montrent des femmes qui se sont illustrées dans des catégories inexistantes chez les hommes : « première femme à » et « militante féministe ».
Figure 1 - Portrait globale des femmes dont les noms parent les rues de Nantes
Les « invisibles » des invisibles : classes populaires et femmes racisées
5Les femmes qui se sont fait une place parmi les rares ayant laissé leur nom à une rue de Nantes se sont distinguées principalement dans les domaines artistiques et scientifiques. L’analyse des professions de celles-ci relève ainsi 45 autrices, 30 scientifiques, 19 artistes peintres et designeuses, 13 chanteuses, 9 actrices. Par ailleurs, 10 ont acquis leur notoriété dans la sphère militaire et 7 dans le sport, des domaines souvent associés à la masculinité dans les représentations collectives. À l’inverse, seulement une dizaine de femmes appartenant à la classe populaire sont représentées. Elles figurent sur une plaque de rue en raison de leur engagement dans la résistance ou leur militantisme, donc sans rapport avec leur profession.
6Les femmes racisées sont très peu présentes parmi les noms de rues féminins à Nantes (figure 2), sans que les données collectées ne permettent de dire si c’est également le cas des hommes racisés. L’analyse de celles-ci révèle la présence de : 9 femmes noires, 3 femmes arabes, 2 femmes juives, 1 femme hispanique, 1 femme asiatique (soit au total 7 % des femmes et moins de 1 % des rues). L’explication de ces lacunes n’est pas à trouver dans l’absence de ces femmes sur le territoire français à travers l’Histoire, la présence noire étant par exemple avérée à Nantes dès le XVIe siècle. Les populations maghrébines et originaires du Proche-Orient sont présentes dans l’hexagone dès le VIIIe siècle. La colonisation favorise une présence africaine importante avec des soldats venus notamment du Maghreb et du Sénégal durant les Première et Seconde Guerres mondiales. Des siècles de présence durant lesquels ces personnes ont participé à la défense de la France, sa construction culturelle, artistique, économique, scientifique et politique. Pourtant, le récit national semble les avoir occultées.
Figure 2 - Carte non mixte de Nantes x Faire de la place aux femmes racisées
Les noms de rues et pas que …
7L’étude des profils des femmes représentées dans les noms de rues rend compte de leur invisibilisation dans l’écriture de l’Histoire qui se traduit dans l’espace public. Les femmes malgré tout retenues pour nommer les rues appartiennent à des catégories spécifiques au sein desquelles des discriminations persistent. Donner plus de visibilité aux minorités permettrait de construire un récit historique commun.
8Il est important de penser les discriminations matérialisées par les noms de rues dans un continuum plus large au sein l’espace public, entre représentations des corps (publicité, statuaire) et comportements qui rappellent aux personnes discriminées leur place subordonnée dans cet espace. La question qui se pose alors est de savoir comment rendre l’espace public plus inclusif. De ce point de vue, rendre compte de son caractère genré et discriminant constitue un premier pas.
Pour citer ce document
Collectif à coté, 2022 : « Les noms de rues à l’épreuve du genre. Des femmes (in)visibles (2/2) », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 12/07/2024, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=803, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.803.
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Bibliographie
Cacouault-Bitaud M., « La féminisation d'une profession est-elle le signe d'une baisse de prestige ? », Travail, genre et sociétés, n° 5, 2001, p. 91-115. DOI : 10.3917/tgs.005.0091
Collectif à côté, « La rue : nom masculin ? », Ici, n° 1, 2021. https://www.crous-nantes.fr/wp-content/uploads/sites/19/2021/04/210325-CAR-les-noms-de-rues-pages-1.pdf
Lecoq T., Les Grandes Oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Paris, L’iconoclaste, 2021.
Lépinard E., Mazouz S., Pour l’intersectionnalité, Paris, Anamosa, 2021.
Miot C., « Combattantes sans combattre ? Le cas des ambulancières dans la Première armée Française (1944-1945) », Revue historique des armées, n° 272, 2013, p. 25-35. http://journals.openedition.org/rha/7779
Ripa Y., Les femmes, actrices de l’histoire France, de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2010.
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Résumé
Le système de dénomination des rues s’inscrit dans une société patriarcale et a engendré dans nos rues une majorité de noms d’hommes. À ce jour, seules 223 rues sur plus de 3 200 portent un nom de femme à Nantes. Parmi ces noms de rues, des catégories spécifiquement féminines se distinguent. Des discriminations systémiques autres que le sexisme apparaissent. Penchons-nous sur qui sont les femmes représentées et qui sont celles qui ne le sont pas dans les rues de Nantes.
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