Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Importer les conflits d’aménagement sur la scène électorale. La campagne municipale de la liste «Nantes en Commun·e·s» en 2020

par Jean Rivière

planche publiée le 29 novembre 2023

Alors que de nombreuses listes se définissant comme « citoyennes » se sont présentées aux scrutins municipaux de 2020 en France, cette planche revient sur l’émergence d’une liste se revendiquant du municipalisme à Nantes. Dans un contexte local marqué par des mobilisations contre des projets d’aménagement emblématiques de la métropolisation, elle procède à une analyse du discours de campagne de cette liste, qui montre comment elle a tenté d’ériger l’opposition à des projets urbains en enjeu dans l’arène électorale.

1 En 2020, la conquête de la mairie de Nantes a été érigée en enjeu national par plusieurs organisations partisanes : par LREM, qui se voyait bien y transformer son résultat de la présidentielle 2017 en ancrage local ; par EELV, dont la direction nationale envisageait la ville comme gagnable après ses scores au scrutin européen de 2019 ; et par le PS, sorti laminé de la séquence électorale 2017-2019, mais bien décidé à conserver un de ses fiefs. Soutenue par LFI, dont la stratégie consistait à enjamber les élections dites intermédiaires, la liste «Nantes en Commun·e·s» (NeC) a émergé dans un contexte nantais marqué par une forte conflictualité autour d’aménagements emblématiques (aéroport, stade, entrepôts Amazon, etc.). En pariant sur les effets électoraux de cette conflictualité, NeC a construit une offre électorale bien résumée par sa stratégie de campagne pensée pour « défoncer le discours sur l’attractivité». Quelles sont les orientations de ce contre-récit urbain telles qu’elles affleurent dans le discours de campagne de cette liste ?

Quand un article scientifique entre en politique

2À l’occasion d’un débat entre les principales têtes de liste, celle de NeC a conclu sur la tirade présentée en encdré1, sa manière de scander les mots montrant que cette séquence du débat avait été préparée avec l’équipe de campagne, donc qu’elle est riche à analyser. Elle renvoie presque au titre d’une publication des économistes Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti invitant de manière critique à se « désintoxiquer » de la « mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) », qui constitue la grammaire dominante de l’action publique métropolitaine. Cette mobilisation d’un article scientifique témoigne d’ailleurs de la présence de colistiers dont les trajectoires scolaires sont passées par les sciences sociales, ainsi que de porosités avec le monde local de la recherche en études urbaines.

Encadré 1 – Extrait d’un discours oral de campagne

« "Métropolisation", "compétition", "attractivité", ce sont là les maîtres mots de la politique de la majorité sortante. C’est le combo parfait pour la fabrique des inégalités, d’une ville anti-écologique bétonnée et standardisée dont sont exclus les plus pauvres. L’attractivité, avant d’être des gens qu’on attire, ce sont des gens qu’on repousse : de Paris, puis de Nantes, puis de Rezé, puis d’Ancenis. Il n’y a pas d’attractivité durable, pas de métropolisation sociale, pas de compétition inclusive, pas de capitalisme écologiste. Maintenant, il y a un choix à faire : soit on continue cette politique qui engendre plus de béton, plus de pollution, plus de gentrification ; soit on écrit une nouvelle histoire pour Nantes. L’histoire de la ville de l’écologie populaire, l’histoire de la ville solidaire, l’histoire de la ville faite par et pour ses habitantes et ses habitants ».

Notes de terrain d’une réunion publique, 4 février 2020

3Fondé sur une stratégie distinctive dans l’espace électoral des gauches, ce discours est construit autour de l’idée selon laquelle le modèle de développement mis en œuvre par la majorité sortante est à l’origine de l’augmentation des inégalités sociales (critique visant plutôt la liste PS) et des dégradations environnementales (critique ciblant cette fois plutôt la liste EELV). Les contradictions supposées de ces deux listes sont pointées du doigt avec l’usage rhétorique d’oxymores : « attractivité durable » ; « métropolisation sociale » ; « compétition inclusive » ; « capitalisme écologiste ».

Un discours rouge-vert centré sur la dénonciation des inégalités sociales et de leurs effets environnementaux

4Dans ce discours et plus largement dans les documents de campagne (figure 1), les effets sociaux de la métropolisation sont associés à la « fabrique des inégalités » avec la thématique de la « gentrification », très présente dans les discours militants locaux, et vue comme généralisée dans l’espace nantais du fait de l’arrivée de « Parisiens », et la question corrélative de l’éviction des classes populaires des villes-centres. On retrouve la volonté d’articuler des processus économiques globaux avec leurs traductions urbaines locales, autour de la volonté de « rompre avec la compétition néolibérale entre métropoles » ou la critique de la « privatisation » de la ville et du rôle des « investisseurs » à l’origine des prix croissants sur le marché immobilier. Quant aux effets environnementaux de cette métropolisation, ils sont pensés au prisme de la ville « anti-écologique bétonnée et standardisée » et plus largement des thématiques de la congestion urbaine conduisant à une perte de la qualité de vie nantaise (fig. 1E). Mais ce sont surtout les « grands projets clinquants » (et les luttes urbaines qu’ils suscitent) qui sont érigés en symboles et font l’objet d’une cartographie militante (fig. 1C).

5L’ensemble de ces critiques permet de dessiner, en creux, le programme porté par NeC (fig. 1G), qui s’articule autour d’interventions publiques sur le logement (plafonnement des loyers), les transports (gratuité pour les bas revenus), ou la gestion de certaines ressources (régie des terres agricoles, fournisseur d’énergie locale et renouvelable). Comme pour d’autres listes inspirées du municipalisme, ce programme intègre également de manière transversale la question de la participation des habitants (assemblées de quartier dotées de budgets et de pouvoirs). Le ton adopté a été pensé comme décalé et témoigne de la volonté d’installer un storytelling alternatif à celui du récit dominant : autocollants placardés dans l’espace public (fig. 1B) ou distribution d’un « conte de Noël » (fig. 1A). L’analyse de ces documents montre une forte professionnalisation du dispositif de campagne, qui n’est pas sans rapport avec les propriétés sociales des colistiers, largement ancrés dans les fractions diplômées des classes moyennes.

6Au total, l’articulation des champs sémantiques de la ségrégation sociale et urbaine, des aménagements et projets urbains, de la critique de la démocratie élective et représentative et des contestations locales emblématiques invite à penser que le terme de métropolisation constitue localement un puissant agrégateur des « luttes urbaines » anticapitalistes.

Figure 1 - La métropolisation à travers le matériel de campagne de NeC

A. Un conte de Noël (décembre 2019)

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B. Autocollants dans l'espace public (octobre 2019 - mars 2020)

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C. Usage militant de la carte (février 2020)

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D. Décrypter une stratégie urbaine...

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E. ... et dénoncer ses conséquences (février 2020)

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F. Articuler plusieurs échelles de réflexion (février 2020)

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G. Les 11 mesures de la propagande officielle (mars 2020)

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Source : enquête de terrain, septembre 2019 - mars 2020

Pour citer ce document

Jean Rivière, 2023 : « Importer les conflits d’aménagement sur la scène électorale. La campagne municipale de la liste «Nantes en Commun·e·s» en 2020 », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 29/11/2023, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=941, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.941.

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Bibliographie

Bouba-Olga O., Grossetti M., « La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s’en désintoxiquer ? », 2018. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01724699v2

Gourgues G., Lebrou V., Sainty J., « L’essor des listes participatives. Autour de la campagne des élections municipales 2020 », La vie des idées, 2020. https://laviedesidees.fr/L-essor-des-listes-participatives.html

Harvey D., « Vers la ville entrepreneuriale. Mutation du capitalisme et transformations de la gouvernance urbaine », Gintrac C. et Giroud M. (dir.), Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2014, p. 95-133.

Mehtali L., Rivière J., « Contester la métropolisation dans les urnes : retour sur la campagne de la liste « Nantes en Commun·e·s » au scrutin municipal de 2020 », Métropoles, 2021. DOI : 10.4000/metropoles.7814

Mots-clefs

Jean Rivière

Jean Rivière est maître de conférences en géographie à l’université de Nantes et membre du laboratoire Espaces et Sociétés (ESO) à Nantes. Ses recherches s’inscrivent dans le champ de la géographie sociale et sont centrées sur l’étude de la dimension spatiale des inégalités et des rapports de domination. Ses travaux articulent les recompositions sociologiques en cours dans les mondes [péri]urbains avec les comportements électoraux qui s’y expriment. Il a ainsi coordonné le dossier « Élections présidentielles : les votes des grandes villes françaises au microscope » et tente plus largement de construire des ponts entre géographie, sociologie et science politique dans le champ de l’analyse électorale.

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Alors que de nombreuses listes se définissant comme « citoyennes » se sont présentées aux scrutins municipaux de 2020 en France, cette planche revient sur l’émergence d’une liste se revendiquant du municipalisme à Nantes. Dans un contexte local marqué par des mobilisations contre des projets d’aménagement emblématiques de la métropolisation, elle procède à une analyse du discours de campagne de cette liste, qui montre comment elle a tenté d’ériger l’opposition à des projets urbains en enjeu dans l’arène électorale.

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