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Le mouvement #MeToo ainsi que l’épidémie de la Covid19 (au cours de laquelle les femmes ont davantage été en « première ligne » que les hommes) ont récemment participé à rendre plus visible dans le débat public la question des inégalités de genre. Cette question renvoie aussi à celle de la cohabitation des femmes et des hommes dans la ville, qui varie selon les heures de la journée. Directement liée aux déplacements quotidiens, les quartiers que les femmes et les hommes fréquentent au cours de la journée reflètent les contraintes spatiales et temporelles auxquelles les deux sexes sont inégalement confrontés, par exemple en ce qui concerne le type d’emplois auxquels elles/ils ont accès et les tâches domestiques qu’elles/ils effectuent.
Le Mobiliscope, un outil pour analyser les coprésences des femmes et des hommes
1 Difficile de connaitre les lieux où les sexes, les générations ou les classes sociales se côtoient au cours de la journée. Cela nécessite en effet d’élargir le regard au-delà des seuls lieux de résidence pour intégrer les lieux d’activités des habitants ainsi que leurs emplois du temps. Pour se faire, les données d’enquêtes publiques sur les déplacements quotidiens 1 ont été utilisées et intégrées dans un outil de géovisualisation. Cet outil – nommé le Mobiliscope – donne à voir heure par heure la population présente 2 dans plus d’une vingtaine de villes françaises, dont Nantes et plusieurs autres villes du grand-Ouest. Il permet entre autres de qualifier le ‘sex ratio’ de la population présente dans les quartiers aux différentes heures de la journée (figure 1).
Figure 1 - Les femmes dans la métropole nantaise au cours des 24 heures de la journée
Source : Mobiliscope (v3.3), Géographie-cités, 2020. Cette figure a été réalisée à partir de 24 captures d'écrans de l'outil Mobiliscope (pour Nantes et sa région) disponible en ligne à l'adresse suivante : https://mobiliscope.parisgeo.cnrs.fr/fr/geoviz/nantes
Un ‘sex ratio’ plus déséquilibré le jour que la nuit
2À Nantes (comme dans les autres villes françaises), on constate que la ségrégation selon le sexe (mesurée par l’indice de ségrégation dit « de Duncan », qui correspond à la proportion de femmes qu’il faudrait déplacer pour obtenir une répartition égalitaire des sexes) est moins élevée que la ségrégation selon l’âge ou la classe sociale, et ce quelle que soit l’heure de la journée. Mais ce qui retient ici notre attention, c’est que cette ségrégation des sexes est systématiquement plus élevée le jour que la nuit. Dans Nantes et sa région (département de Loire-Atlantique), ce sont 10 % des femmes qu’il faudrait déplacer à 14h pour obtenir une répartition égalitaire des sexes, contre 7 % à 2h du matin. On retrouve des chiffres similaires dans d’autres départements de l’ouest de la France comprenant aussi une ville relativement importante, qu’il s’agisse de Rennes avec l’Ille-et-Vilaine et de Caen avec le Calvados (figure 2).
3Cette répartition spatiale plus équilibrée la nuit que le jour est finalement assez logique. La nuit les personnes se trouvent en effet majoritairement dans leurs logements et il n’y pas de quartiers qui concentrent essentiellement des logements occupés par des femmes ou essentiellement occupés par des hommes (à l’exclusion de certains quartiers avec une part importante de personnes âgées, groupe d’âge pour lequel les femmes sont plus nombreuses en raison de leur espérance de vie plus longue). En revanche, la ségrégation des sexes plus élevée en journée indiquent que des mécanismes d’entre-soi des sexes apparaissent, avec des quartiers fréquentés majoritairement par des femmes ou par des hommes.
Figure 2 - La ségrégation des sexes plus forte en journée que la nuit
Sources : Enquête Déplacements Grand Territoire (EDGT) 2015 de Loire-Atlantique, Enquête mobilité (EMC²) 2018 - Rennes / Ille-et-Vilaine, Enquête Déplacements Grand Territoire (EDGT) 2011 - Caen / Calvados
https://mobiliscope.parisgeo.cnrs.fr/fr/geoviz/nantes
https://mobiliscope.parisgeo.cnrs.fr/fr/geoviz/rennes
https://mobiliscope.parisgeo.cnrs.fr/fr/geoviz/caen
Quartiers de femmes, quartiers d’hommes
4Au-delà de cette mesure départementale de la ségrégation, on peut aussi vouloir étudier la répartition locale des femmes et des hommes et les quartiers qu’elles/ils privilégient lors de leurs déplacements quotidiens. Dans le Mobiliscope, on peut en effet restreindre l’analyse aux personnes présentes en journée dans les quartiers sans y résider (les « non-résidents », cf. figure 2). On constate alors que certains secteurs constituent une destination privilégiée par les femmes (par exemple les quartiers centraux de Bretagne et Bellamy) ou par les hommes (le secteur périphérique du Nord-Est), tandis que d’autres attirent autant les femmes que les hommes (le secteur de l’université). Ces différences s’expliquent par les types d’emplois implantés dans ces quartiers autant que par le profil des publics qui fréquentent ces quartiers. Dès lors, ces différences sont particulièrement fortes sur les lieux de travail des classes populaires, dans la mesure où 80 % des ouvriers sont des hommes tandis que 75 % des employées sont des femmes.
5Le centre-ville concentre ainsi de nombreux commerces dans lesquels l’emploi et la clientèle sont majoritairement féminins (10 168 non-résidentes à midi contre 6 394 non-résidents dans le secteur Nantes Commerce-Château). Certaines zones périphériques d’emplois spécialisés attirent au contraire essentiellement des travailleurs masculins (par exemple, dans la zone industrielle de Nantes-Carquefou au nord-est de l’agglomération 6 481 non-résidents à 9h contre 3 200 non-résidentes). Enfin, dans les quartiers universitaires, ce sont tout autant des femmes que des hommes qui sont employée.es ou étudiant.es, d’où une répartition par sexe équilibrée.
Figure 3 - Les profils de fréquentation de trois quartiers nantais
Source : Enquête Déplacements Grand Territoire (EDGT) 2015 de Loire-Atlantique
https://mobiliscope.parisgeo.cnrs.fr/fr/geoviz/nantes
6Si on élargit l’analyse à l’ensemble de la population présente (résidente ou non, cf. figure 1), on observe que les femmes sont largement majoritaires en journée (plus de 60 %) dans plusieurs secteurs du centre-ville mais minoritaires (moins de 45 %) dans les secteurs périphériques du nord-est (de part de d’autre de l’Erdre) et du sud-ouest de la ville. Notons aussi que de nombreuses communes périurbaines résidentielles se féminisent en journée non pas parce qu’elles accueillent plus de femmes que d’hommes mais parce qu’elles se vident plus de leurs résidents que de leurs résidentes. Cette organisation genrée de la métropole nantaise est similaire à celle observée dans d’autres grandes villes françaises comme Toulouse, Bordeaux ou Grenoble.
7 En tant que projection spatiale des contraintes auxquelles les deux sexes sont inégalement assujettis, la parité dans la ville pourrait constituer un instrument de mesure des inégalités qui pèsent sur la vie quotidienne des femmes et des hommes, mais aussi un instrument de suivi de l’efficacité des politiques publiques œuvrant pour une ville inclusive.
Notes
1 Ces enquêtes dites « Ménages Déplacement » sont menés par les collectivités locales avec le soutien du Cerema. L’enquête menée en Loire-Atlantique en 2015 est librement accessible en open-data .
2 Afin de localiser la population présente dans chaque secteur des villes à chaque heure de la journée, les données de déplacements (réalisés un jour de semaine) ont été transformées en données de présences. L'idée est d'obtenir 24 photographies de la population présente dans les villes, avec une photographie de la répartition de la population pour chaque heure de la journée. Seule la population âgée de 16 ans et plus est prise en compte. Les périodes entre deux déplacements sont considérées comme des présences, à l'exception des déplacements réalisés avec un mode de transport doux (marche à pied, vélo etc.), pour lesquels on considère la première moitié du temps de déplacement comme une présence dans le secteur de départ et la seconde moitié comme une présence dans le secteur d'arrivée. Chacune des mesures publiées dans le Mobiliscope est issue d'un redressement pondéré afin de garantir une distribution de la population similaire à celle observée dans le recensement de la population : ce sont des estimations avec une marge d’erreur statistique. Plus d’information ici.
Pour citer ce document
Julie Vallée, 2020 : « Les femmes et les hommes dans la ville : la parité au quotidien », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 15/09/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=465, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.465.
Autres planches in : Souligner les clivages sociodémographiques
Bibliographie
Coutras J., « La mobilité quotidienne et les inégalités de sexe à travers le prisme des statistiques » Recherches féminines , Vol. 10, n° 2, 1997, p. 77-90. DOI : 10.7202/057936ar
Lecomte C., Vallee J., Le Roux G., Commenges H., « Le Mobiliscope. Un outil de géovisualisation de la composition sociale 24h/24 des territoires », MappeMonde , n°123, 2018. http://mappemonde.mgm.fr/123geov3/
Le Roux G., Vallee J., Commenges H., « Social segregation around the clock in the Paris region », Journal of Transport Geography , Vol. 59, 2017, p 134-145. DOI : 10.1016/j.jtrangeo.2017.02.003 .
Raibaud Y., La Ville faite par et pour les hommes , Paris, Belin, 2015.
Vallee J., « The daycourse of place », Social Science & Medicine , Vol. 194, 2017, p. 177-181. DOI : 10.1016/j.socscimed.2017.09.033
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Résumé
Le mouvement #MeToo ainsi que l’épidémie de la Covid19 (au cours de laquelle les femmes ont davantage été en « première ligne » que les hommes) ont récemment participé à rendre plus visible dans le débat public la question des inégalités de genre. Cette question renvoie aussi à celle de la cohabitation des femmes et des hommes dans la ville, qui varie selon les heures de la journée. Directement liée aux déplacements quotidiens, les quartiers que les femmes et les hommes fréquentent au cours de la journée reflètent les contraintes spatiales et temporelles auxquelles les deux sexes sont inégalement confrontés, par exemple en ce qui concerne le type d’emplois auxquels elles/ils ont accès et les tâches domestiques qu’elles/ils effectuent.
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