Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Un employeur dans la ville


Socio-géographie des lieux de résidence des salariés de l’université de Nantes

par Jean Rivière et Christophe Batardy

planche publiée le 16 avril 2025

Dans le cadre intellectuel du modèle de la ville attractive, le fait de disposer d’une université sur son territoire est considéré comme un facteur de rayonnement dans la compétition interurbaine. Si les difficultés croissantes (et bien réelles) d’accès au logement des étudiants sont devenues un marronnier journalistique de chaque rentrée, une université est également un employeur dont les agents doivent eux-aussi se loger. Où vivent ceux de l’université de Nantes ?

1Loin derrière le CHU, seul établissement à employer plus de 10 000 personnes, l’université de Nantes fait partie des plus gros employeurs de la métropole nantaise. Elle figure en effet dans la catégorie des établissements qui salarient entre 2 000 et 5 000 personnes, aux côtés d’autres institutions du secteur public comme le Conseil Régional, le Conseil Départemental, la Mairie de Nantes ou la collectivité de Nantes Métropole, la SEMITAN dont le fonctionnement mêle des capitaux publics et privés, auxquelles il convient d’ajouter l’entreprise privée Airbus opérations implantée à Bouguenais. Pour assurer ses missions, une université comme celle de Nantes s’appuie sur le travail d’un peu moins de 4 000 agents salariés qui exercent des métiers très variés (encadré 1). Dès lors, on comprend que ces agents se trouvent dans des positions très inégales dans l’accès au logement, qui plus est dans un contexte urbain aux loyers et prix immobiliers élevés.

Encadré 1 : Qui sont les agents de l’université et quelles données pour les étudier ?

Une convention de recherche respectant le RGPD a été établie en 2020 avec le service des ressources humaines de l’université afin de disposer d’une base des données comprenant les adresses des agents, adresses qui ont été ventilées dans la maille des IRIS de l’INSEE construite pour diffuser des informations de la statistique publique tout en préservant les libertés individuelles. Cette base de données comprend 3 840 agents avec une adresse personnelle renseignée, ainsi que des variables relatives à l’âge, au sexe, au statut, et au lieu de travail. Pour comprendre la géographie résidentielle de ces agents dans la métropole nantaise, cette planche se concentre sur les 3 221 agents dont le lieu de travail est localisé sur un des campus nantais (Chantrerie-Fleuriaye, Tertre, Lombarderie, Centre Loire).

Un peu plus de la moitié de ces agents sont des Enseignants-Chercheurs ou des Enseignants (les « EC/E »), parmi lesquels on compte des fonctionnaires comme des professeurs des universités, des maîtres de conférences et des enseignants du secondaire détachés dans le supérieur, mais aussi des étudiants en doctorat salariés comme contractuels pour réaliser leurs recherches et/ou enseigner. Il est important de préciser que la mission d’enseignement repose également sur plus de 3 500 chargés d’enseignement vacataires auxquels l’université verse une rémunération, comme l’indique le bilan social de l’université. L’université n’étant pas l’employeur principal de ses chargés d’enseignement, ils ne sont toutefois pas présents dans les données analysées ici. L’autre moitié des agents est composée des Bibliothécaires, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, personnels Sociaux et de Santé : les « BIATSS », dont plus d’un tiers sont en CDD ou CDI. Dans l’organisation du travail et la hiérarchie salariale, ces BIATSS occupent des positions que l’on peut approcher à l’aide des catégories A, B et C de la fonction publique.

Des types d’espaces résidentiels qui reflètent les positions dans l’institution académique

2Les lieux d’habitation de ces agents sont le produit d’arbitrages résidentiels intégrant les revenus (salaire et patrimoine) qui sont dépendants (pour le salaire) de la position professionnelle occupée dans l’établissement, de l’âge et de la position dans le cycle de vie, ainsi que les (dé)goûts et aspirations en matière de styles de vie qui découlent eux-mêmes de ces positions de classe et d’âge. L’espace social des agents de l’université se révèle structuré par un double clivage (figure 2).

Figure 2 - Hiérarchies internes et types d’espaces résidentiels

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L'analyse statistique à l'origine de ce graphique permet de résumer visuellement les relations entre les variables (l'âge, le sexe, les catégories d'agent, le lieu de résidence) contenues dans un grand tableau de données. Le fait que des modalités de variables y apparaissent proches signifie que beaucoup des individus étudiés (les agents) sont porteurs des mêmes modalités. Ainsi en bas à gauche du graphique, les modaltés "EC titulaire professeur", "50 ans et +" et "hommes" apparaissent proches car ce sont des propriétés sociales communes à nombre de la base de données.

3Horizontalement, le premier clivage oppose les agents les plus jeunes plus fréquemment contractuels aux agents plus âgés plus souvent titulaires. Plus jeunes (et donc en quête de logements de petites surfaces dont l’offre est concentrée dans la ville-centre) et en début de trajectoire professionnelle, les BIATSS contractuels A sont 58 % à vivre dans la ville-centre, à égalité avec les 57 % d’EC/E contractuels (doctorants salariés et Attachés Temporaires d’Enseignement et de Recherche). Un tiers de ces derniers déclare d’ailleurs une adresse hors de Loire-Atlantique, indicateur d’une forte mobilité géographique inhérente au marché de l’emploi scientifique très concurrentiel. Verticalement, le second clivage oppose les BIATSS B et C (qui sont aussi à 73 % des femmes) aux professeurs des universités (dont 80 % sont des hommes et dont 68 % ont plus de 50 ans). Ils sont plus avancés dans le cycle de vie et susceptibles d’avoir accumulé un patrimoine, et résident donc pour 56 % d’entre eux dans la ville-centre, contre un tiers seulement des BIATSS C. Environ un tiers des BIATSS B et C vivent dans d’autres communes de Nantes Métropole, qui sont largement pavillonnaires et plus loin de leur lieu de travail. Et ce sont les BIATSS C qui ont les lieux de résidence les plus distants des campus nantais, puisque 28 % habitent dans des communes de Loire-Atlantique hors de Nantes Métropole, où les logements sont financièrement plus accessibles.

Des clivages qui s’observent entre secteurs de Nantes Métropole

4Près de 75 % des agents travaillant sur un campus nantais résidant dans le périmètre de Nantes Métropole, il est intéressant de changer d’échelle pour observer les contrastes entre quartiers (figure 3), en resserrant la focale géographique d’analyse et en se concentrant sur les deux catégories les plus antagonistes dans l’espace social des agents (les autres présentant des configurations intermédiaires).

Figure 3 - Des quartiers différents entre Professeurs des universités et BIATSS de catég. C

Figure 3a - Lieux de résidence des Professeurs des universités de Nantes Université

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Figure 3b - Leux de résidence des agents BATSS de catégorie C de Nantes Université

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5La géographie résidentielle des professeurs est concentrée sur la zone centrale à l’intérieur des boulevards de ceinture du 19ème siècle, mais ils sont très peu présents dans les nouveaux quartiers de l’île de Nantes et au sud de la Loire. La distribution spatiale des BIATSS C se révèle quant à elle plus périphérique dans Nantes et plus diffuse dans l’espace de Nantes Métropole, notamment à Saint-Herblain, Orvault ou Rezé (sans oublier les 28 % d’agents localisés dans le reste du département). Contrastées, ces deux géographies ne sont pas pour autant complètement opposées, ce qui permet de rappeler que pour les agents qui vivent en couple, les arbitrages résidentiels sont réalisés à l’échelle du ménage, ce qui biaise partiellement l’analyse. Des différences de localisation au moins aussi visibles apparaissent d’ailleurs quand on observe les lieux de résidence selon les lieux de travail des agents (figure 4) : la distribution des agents du campus Tertre est centrée sur le nord de Nantes ; celle des agents du campus Centre-Loire sur le cœur de Nantes ; tandis que celle des agents du campus Chanterie-Fleuryaie est décalée vers le nord-est.

Figure 4 - Des lieux de résidence ajustés en fonction des lieux de travail

Figure 4a - Lieux de résidence des travailleurs du Campus Tertre

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Figure 4b - Lieux de résidence des travailleurs du Campus Centre Loire

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Figure 4c - Lieux de résidence des travailleurs du Campus Chantrerie-Fleuriaye

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6Dans une métropole de plus en plus congestionnée, ces différences soulignent la prise en compte par les ménages des temps de déplacements dans les arbitrages résidentiels.

Pour citer ce document

Jean Rivière et Christophe Batardy, 2025 : « Un employeur dans la ville », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 16/04/2025, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=1035, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.1035.

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Photo : CC-BY-NC S. - Flickr

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Bibliographie

Bouba-Olga Olivier, Grossetti Michel, 2018 « La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s’en désintoxiquer ? » hal-01724699v2

Florida Richard, 2002, The Rise of the Creative Class and How It’s Transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life, New York : Basic Books.

Index géographique

Glossaire

Jean Rivière

Maître de conférences HDR en Géographie, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Jean Rivière

Résumé

Dans le cadre intellectuel du modèle de la ville attractive, le fait de disposer d’une université sur son territoire est considéré comme un facteur de rayonnement dans la compétition interurbaine. Si les difficultés croissantes (et bien réelles) d’accès au logement des étudiants sont devenues un marronnier journalistique de chaque rentrée, une université est également un employeur dont les agents doivent eux-aussi se loger. Où vivent ceux de l’université de Nantes ?

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