Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Une géographie en mouvement des lieux LGBTQIA+ nantais (1/3). Les années 1970, de la liberté interstitielle à la liberté marginale

par Alain Léobon

planche publiée le 15 mai 2024

Dans l’espace urbain nantais, quels sont les lieux de visibilité, de sociabilité et d’existence produits ou investis par les personnes appartenant à différentes catégories de diversité sexuelle ou de genre, qui sont regroupées sous le label LGBTQIA+ (Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Queers et Intersexes et Asexuel·les) ? Pour répondre à cette question, cette planche et les deux suivantes proposent une cartographie fine qui s’appuie sur trois périodes clés : de la fin des années 1970 au début des années 1980, de la fin des années 1990 à l’aube du nouveau siècle puis des années 2000 à aujourd’hui.

1La production spatiale et l’inscription territoriale de lieux, de services et de ressources LGBTQIA+ ont suivi, depuis quarante ans, les principales dynamiques du mouvement politique gay et lesbien. Ils signent en effet l’inclusion progressive des personnes de diversité sexuelle ou de genre dans la société. Ces individus ont expérimenté, en un demi-siècle, trois mouvements et réalités distincts, chacun d’eux ayant influencé le paysage LGBTQIA+ nantais et son vécu citoyen : le mouvement dit de l’interstitiel, puis celui de la liberté marginale et, plus récemment, de l’accès à une forme principale de liberté.

2Le premier mouvement relève de l’expression minoritaire et s’affirme dans un champ de liberté que nous qualifierons d’interstitiel, dans l’esprit des travaux du professeur Abraham Moles, selon lequel la « liberté interstitielle exploite les vides juridiques qui permettent de s’exprimer sans s’exposer à la foudre du dieu social ». Elle repose donc sur une perception aiguë des obstacles, des oppositions ou des noyaux de résistance qui oppriment et occultent l’expression de l’individu, soit, ici, la parole homosexuelle. C’est ainsi qu’à la fin des années 1970, les homosexuel·le·s, dont les comportements sont pourtant considérés comme déviants (voire comme des délits jusqu’à une modification de la loi en 1982, suite à l’élection de F. Mitterrand), investissent et s’approprient nombre d’espaces dans le centre-ville nantais (figure 1).

Figure 1 - Les lieux LGBTQIA+ (1979-1981)

Image

Sources  : http://www.hexagonegay.com ; entretiens menés par l’auteur

Une scène commerciale riche et diversifiée

3Autour des années 1980, plusieurs sources documentaires signalent l’existence à Nantes d’une scène interlope, orientée sur le loisir et la rencontre sexuelle. Ces lieux, loin d’être invisibles, prennent place principalement au cœur du centre historique nantais. Seules trois discothèques sont plus éloignées du centre-ville. Les lieux de rencontres extérieurs sont aussi très nombreux et centraux, leur usage étant essentiellement nocturne.

4Suivant le modèle d’organisation de l’espace parisien, trois grandes catégories d’espaces sont répertoriées. La première regroupe des lieux diurnes conviviaux et centraux tels les cafés huppés Le Molière (dénommé la Volière), Le Franklin ou Le Corneille qui sont investis, « à la Saint-Germain-des-Prés », par une élite sociale gay. La seconde est constituée de plusieurs bars et discothèques qui, à l’image des clubs privés parisiens de la rue Saint-Anne, favorisent une vie nocturne très active. On retrouve dans cette catégorie le Don Quichotte auquel succèdent La Galerie, Le David Bar (plus masculin) et l’Interdit (gay et lesbien), alors que Philippe Michel, qui deviendra la figure emblématique du night-clubbing nantais, crée Le Tangara et L’Ère du temps, situés respectivement au sous-sol puis au 29èmeétage de l’emblématique Tour Bretagne. Enfin, les lieux de rencontre extérieurs, très nombreux et centraux, favorisent un mélange intergénérationnel et de diverses classes sociales. C’est le cas de la place Louis XVI, des cours Saint-Pierre ou Saint-André, du square Elisa Mercœur sans oublier de nombreuses vespasiennes (il s’agit d’urinoirs publics pour hommes, placés sur les trottoirs et équipés de cloisons afin de préserver l'intimité) situées place du Commerce, devant l’église Saint-Nicolas et le Cours des Cinquante otages, qui étaient le théâtre d’une très intense activité sexuelle, en particulier la nuit.

Un milieu associatif militant s’appuyant sur les GLH

5Ce paysage s’accompagne, sur le plan associatif, d’une parole politique libérationniste qui prend donc corps dans le champ de liberté qualifié d’interstitiel, venant « en réponse » (opposition) à la pression de la conformité et habitant les zones grises de la tolérance. Si, à Paris, au FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) succèdent les GLH (Groupes de Libération Homosexuelle), ces derniers essaiment en région, dont à Nantes en 1978. Le GLH, abrité par la Librairie 71 située à proximité du centre-ville, œuvre en faveur des droits homosexuels, possède un magazine « accroche cœur » et une émission de radio, l’émission rose. Dans d’autres registres, l’association David et Jonathan s’adresse aux homosexuels chrétiens, alors que la convergence locale entre le MLF et GLH ne semble pas rapportée.

6À l’exception des cafés et restaurant huppés, les lieux et de ressources recensés présentent un caractère identitaire principalement cisgenre et « homocentré ». Certains bars et clubs accueillent cependant de nombreux spectacles transformistes, permettant à ceux et celles qu’on appelait alors « transsexuels » de se retrouver, sans doute, en adéquation avec ces représentations. Enfin, les lieux conviviaux, qualifiés aujourd’hui de « LGBT-friendly » sont essentiellement appropriés par des hommes gays ou bisexuels, comme le sont les nombreux lieux de drague centraux.

7Précédant la pandémie du SIDA, cette période de la fin des années 1970 et début de la décennie 1980 ouvrira l’accès au champ de liberté marginale et au temps des réformes visant à réduire les discriminations relatives à la sexualité des gays et des lesbiennes, l’élection de François Mitterrand concluant ce premier temps de revendications.

Pour citer ce document

Alain Léobon, 2024 : « Une géographie en mouvement des lieux LGBTQIA+ nantais (1/3). Les années 1970, de la liberté interstitielle à la liberté marginale », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 07/06/2024, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=989, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.989.

Autres planches in : Distinguer des groupes sociaux

Photo : CC-BY-NC S. - Flickr

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Bibliographie

Léobon A., « Champs de libertés et construction de territoires homos et bisexuels en France et au Québec  », Séchet R., Veschambre V. (dir.), Penser et faire la géographie sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 277-294, DOI : 10.4000/books.pur.362

Leroy S., « Le Paris gay. Éléments pour une géographie de l'homosexualité  », Annales de géographie, 2005, n° 646, p. 579-601. DOI : 10.3917/ag.646.0579

Moles A., « Liberté principale, liberté marginale, liberté interstitielle  », Revue française de sociologie, 1966, n° 7, p. 229-232, DOI: 10.2307/3319021

Mots-clefs

Index géographique

Résumé

Dans l’espace urbain nantais, quels sont les lieux de visibilité, de sociabilité et d’existence produits ou investis par les personnes appartenant à différentes catégories de diversité sexuelle ou de genre, qui sont regroupées sous le label LGBTQIA+ (Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Queers et Intersexes et Asexuel·les) ? Pour répondre à cette question, cette planche et les deux suivantes proposent une cartographie fine qui s’appuie sur trois périodes clés : de la fin des années 1970 au début des années 1980, de la fin des années 1990 à l’aube du nouveau siècle puis des années 2000 à aujourd’hui.

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