Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Au Bois-Hardy, l’opposition au projet urbain dans l’impasse du « Dialogue Citoyen »

par Lucile Garnier

planche publiée le 07 novembre 2022

À Nantes comme ailleurs, l’agir urbanistique de ces dernières décennies érige le principe de densification comme une des solutions opérationnelles les plus légitimes pour construire la « ville durable » et lutter contre la hausse des prix du foncier ou l’étalement urbain. Pour certains groupes d’habitant·e·s, l'acceptabilité de ce registre ne va pas de soi et l’atterrissage de ces programmes peut provoquer de vives tensions. La controverse portée par le collectif des coteaux du Bois-Hardy nous permet d’illustrer ces oppositions à la fois environnementales et démocratiques.

Le projet de renouvellement d’un ancien quartier ouvrier, le Bas Chantenay

1Le projet urbain du Bas Chantenay est une opération d’aménagement d’un quartier de faubourg en pleine gentrification. Revenant en partie sur la grande expérience urbaine nantaise de l’île de Nantes, elle en emprunte des recettes comme la planification d’espaces publics récréatifs et la valorisation du patrimoine des anciens chantiers navals. Le projet de construction de 400 logements sur une friche de quatre hectares au Bois Hardy, l’un des cinq secteurs opérationnels de cette Zone d’Aménagement Concertée (ZAC), est vécu par un collectif de riverain·e·s comme l’arrière scène d’une opération au service de l’attractivité culturelle et touristique de la métropole nantaise. Les pièces maitresses de ce projet de mise en tourisme, le Jardin extraordinaire et son Arbre aux Hérons dans la carrière Miséry (finalement abandonné en septembre 2022), sont par ailleurs contestés par le collectif « La Commune de Chantenay », une contestation que la mobilisation du Bois Hardy complète de façon plus discrète, en ayant fait l’épreuve du « Dialogue Citoyen »(service municipal et métropolitain délégué à la conduite des démarches de participation citoyenne) et en s’efforçant de déjouer les soupçons de NIMBY (Not In My Back Yard) pointant la protection d’intérêts privés des habitants du quartier.

2Au contraire des autres secteurs mettant en valeur des éléments patrimoniaux, les images publiées dans le journal municipal en 2016 et les précisions apportées par la Métropole et son opérateur Nantes Métropole Aménagement mettent à jour un projet guidé par une combinaison de facteurs techniques, entre opportunité foncière et équilibrages financiers. Le collectif des coteaux du Bois Hardy oppose à cette rationalité les qualités environnementales du site, composé de deux hectares de sols artificialisés, mais végétalisé sur sa deuxième moitié, et historiquement cultivé par les ménages ouvriers du quartier au XIXe siècle (photo 1).

Photo 1 - Parcelle collective du collectif des coteaux du Bois Hardy

Image

Crédit photo : Lucile Garnier, avril 2020

La mobilisation du collectif des coteaux du Bois-Hardy, entre opposition et recherche de compromis

3Le collectif des Coteaux du Bois-Hardy est hétéroclite. Composé en grande partie d’habitant·e·s du quartier, souvent primo-militant·e·s, il rassemble des individus aux sensibilités politiques variées, les engagements de certain·e·spouvant êtrequalifiés d’infra-politiques (au sens d’ordinaires, quotidiens et pratiques plutôt que théoriques). L’action collective s’y est construite au rythme des opportunités humaines, des calendriers politiques ou des procédures institutionnelles (mobilisation lors de l’enquête publique en 2019, recours au tribunal administratif en 2020, etc.). Elle s’est aussi solidifiée autour de plusieurs compromis : spatial tout d’abord par la sanctuarisation de l’espace non-artificialisé à préserver ; de posture ensuite, en veillant à s’inscrire dans un rapport de force sans rompre la négociation avec les acteurs publics. Cette attitude a conduit le collectif à investir les espaces de participation officiels ouverts par l’institution en 2017, puis lors d’une nouvelle procédure en 2021. Cette seconde concertation est mise en place après une « remise à plat » du nombre de logements par les élus en décembre 2019 à l’approche des élections municipales de 2020.

4L’activité politique du collectif s’est aussi consolidée autour d’un contre-projet pour la friche, testé en partie en actes par des activités ritualisées de jardinage sur des parcelles individuelles et collectives occupées en squat, mais aussi par l’organisation d’évènements culturels et festifs et le relogement de familles sans-abris dans les maisons préemptées par l’institution. Favorisant la formation d’une communauté de résidence, elle est devenue un support pour revendiquer l’auto-gestion des espaces et continuer à penser la vie de quartier. Contre la destruction de ce que le collectif considère comme l’un des rares réservoirs de biodiversité en ville, ses membres se positionnent comme les garant·e·s de la « nature » face au projet de logements. Une attention au vivant et aux non-humains que le collectif relie à un écosystème de liens sociaux ancrés dans la proximité au quartier.

5La préservation de ce cadre de vie est mobilisée pour peser dans le processus d’élaboration du projet que le collectif tente d’ouvrir (figure 1). Des propositions concrètes ont été formulées par certain·e·s de ses membres, comme celle de conditionner l’emprise des constructions aux recommandations des écologues ou d’associer des citoyen·ne·s tiré·e·s au sort dans une gouvernance tripartite avec les élus-techniciens, et le collectif mobilisé. Ces propositions rejetées et la dernière concertation prise en étau par les cadres du « Dialogue Citoyen » n’ont pas permis de faire une place à ces riverain·e·s dans les processus de conception et de gouvernance du projet.

6Si cette controverse nous éclaire sur les oppositions aux injonctions à « refaire la ville sur elle-même », elle met également en lumière la difficulté des pouvoirs publics nantais à partager la décision avec des groupes non-invités à participer ou organisés en dehors des procédures institutionnelles.

Figure 1 - Cartographie de contre-proposition du projet pour le Bois Hardy, septembre 2021

Image

Source : Collectif des Coteaux du Bois Hardy

Pour citer ce document

Lucile Garnier, 2022 : « Au Bois-Hardy, l’opposition au projet urbain dans l’impasse du « Dialogue Citoyen » », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 07/11/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=831, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.831.

Autres planches in : S'engager et prendre position

Sources : Nantes en Commun.

Importer les conflits d’aménagement sur la scène électorale. La campagne municipale de la liste «Nantes en Commun·e·s» en 2020

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

Carte : J. Rivière, S. Charrier, 2023.

La présidentielle 2022 au microscope. Continuités et ruptures avec le paysage électoral antérieur dans la Métropole

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

Photo : © Philippe Peneau.

À Montbert contre Amazon et son monde, géographie de la mobilisation d’une coalition inédite

par Baptiste Chocteau et Nicolas Raimbault

Voirla planche intégrale 

Photo : Sylke Ibach, CC 2.0 By-NC.

Des configurations électorales en mouvement sous l’effet de la métropolisation (1974-2017)

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

Dessin : McMarco.

Nantes Métropole et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un couple ouvert à deux battants

par Frédéric Barbe

Voirla planche intégrale 

carte : J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier - 2020.

Municipales 2020 à Nantes : un premier tour anxiogène avant confinement

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

image : YelloPark.

YelloPark, un projet urbain comme s’il n’avait jamais existé

par Frédéric Barbe

Voirla planche intégrale 

carte : S. Charrier - 2020.

Retour sur le paysage municipal nantais en 2014

par Jean Rivière

Voirla planche intégrale 

carte : J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier - 2019

Comprendre l’abstention par la géographie sociale de Nantes-Métropole

par Jean Rivière et Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

couv. : Archives Départementales de Loire Atlantique, 1977

La victoire de l’Union de la gauche aux élections municipales de Nantes en 1977 : la fin de la « Troisième force »

par Christophe Batardy

Voirla planche intégrale 

Bibliographie

Bourgoin J.-L., « L’expérience d’une écriture en friche », Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 2 juillet 2020. https://www.metropolitiques.eu/L-experience-d-une-ecriture-en-friche-1524.html

Clermont A, « Jardin contre béton, le bras de fer du Bois-Hardy », Ouest France, le 18 octobre 2019.

COLLECTIF DES COTEAUX DU BOIS HARDY, Le collectif d’acteurs des coteaux du Bois Hardy, la vision partagée, annexes du cahier de préconisations, janvier 2018.

Dialogue citoyen, Archives en ligne de l’atelier Le quartier du Bois Hardy Demain, janvier 2018 - mai 2022. https://dialoguecitoyen.metropole.nantes.fr/projects/amenagement-du-bois-hardy/posts

Garnier L., Devisme L., « Se mobiliser dans et contre la métropole : les activités critiques de l’action publique territorialisée à Nantes, entre scènes et coulisses. Le cas du Bois Hardy » Métropoles [en ligne], 30|2022, mis en ligne le 30 juin 2022. DOI : 10.4000/metropoles.8625

Pinson D., L’indépendance confisquée d’une ville ouvrière : Chantenay, Labenne, Arts, Cultures, Loisirs, 1982.

Index géographique

  • Bois Hardy
  • Bas Chantenay (quartier)

Lucile Garnier

Doctorante en Aménagement de l'espace et Urbanisme, équipe CRENAU, laboratoire Ambiances Architectures Urbanités (AAU)

Toutes les planches de l'auteur

Les derniers dépôts dans HAL-SHS de Lucile Garnier

0441abd8a3e39eea68fb82864b61a80f
Lucile Garnier

Résumé

À Nantes comme ailleurs, l’agir urbanistique de ces dernières décennies érige le principe de densification comme une des solutions opérationnelles les plus légitimes pour construire la « ville durable » et lutter contre la hausse des prix du foncier ou l’étalement urbain. Pour certains groupes d’habitant·e·s, l'acceptabilité de ce registre ne va pas de soi et l’atterrissage de ces programmes peut provoquer de vives tensions. La controverse portée par le collectif des coteaux du Bois-Hardy nous permet d’illustrer ces oppositions à la fois environnementales et démocratiques.

Annexes (1)

Statistiques de visites

Du au

* Visites : "Nombre de visites qui ont inclus cette page (planche) ou nombre de visites uniques. Si une page a été vue plusieurs fois durant la visite elle ne sera comptabilisée qu'une seule fois".
** Total : sur la période sélectionnée.
*** Hits : "Le nombre de fois que le site ou cette page a été visité(e)".