Au Bois-Hardy, l’opposition au projet urbain dans l’impasse du « Dialogue Citoyen »
par Lucile Garnier
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À Nantes comme ailleurs, l’agir urbanistique de ces dernières décennies érige le principe de densification comme une des solutions opérationnelles les plus légitimes pour construire la « ville durable » et lutter contre la hausse des prix du foncier ou l’étalement urbain. Pour certains groupes d’habitant·e·s, l'acceptabilité de ce registre ne va pas de soi et l’atterrissage de ces programmes peut provoquer de vives tensions. La controverse portée par le collectif des coteaux du Bois-Hardy nous permet d’illustrer ces oppositions à la fois environnementales et démocratiques.
Le projet de renouvellement d’un ancien quartier ouvrier, le Bas Chantenay
1Le projet urbain du Bas Chantenay est une opération d’aménagement d’un quartier de faubourg en pleine gentrification. Revenant en partie sur la grande expérience urbaine nantaise de l’île de Nantes, elle en emprunte des recettes comme la planification d’espaces publics récréatifs et la valorisation du patrimoine des anciens chantiers navals. Le projet de construction de 400 logements sur une friche de quatre hectares au Bois Hardy, l’un des cinq secteurs opérationnels de cette Zone d’Aménagement Concertée (ZAC), est vécu par un collectif de riverain·e·s comme l’arrière scène d’une opération au service de l’attractivité culturelle et touristique de la métropole nantaise. Les pièces maitresses de ce projet de mise en tourisme, le Jardin extraordinaire et son Arbre aux Hérons dans la carrière Miséry (finalement abandonné en septembre 2022), sont par ailleurs contestés par le collectif « La Commune de Chantenay », une contestation que la mobilisation du Bois Hardy complète de façon plus discrète, en ayant fait l’épreuve du « Dialogue Citoyen »(service municipal et métropolitain délégué à la conduite des démarches de participation citoyenne) et en s’efforçant de déjouer les soupçons de NIMBY (Not In My Back Yard) pointant la protection d’intérêts privés des habitants du quartier.
2Au contraire des autres secteurs mettant en valeur des éléments patrimoniaux, les images publiées dans le journal municipal en 2016 et les précisions apportées par la Métropole et son opérateur Nantes Métropole Aménagement mettent à jour un projet guidé par une combinaison de facteurs techniques, entre opportunité foncière et équilibrages financiers. Le collectif des coteaux du Bois Hardy oppose à cette rationalité les qualités environnementales du site, composé de deux hectares de sols artificialisés, mais végétalisé sur sa deuxième moitié, et historiquement cultivé par les ménages ouvriers du quartier au XIXe siècle (photo 1).
Photo 1 - Parcelle collective du collectif des coteaux du Bois Hardy
Crédit photo : Lucile Garnier, avril 2020
La mobilisation du collectif des coteaux du Bois-Hardy, entre opposition et recherche de compromis
3Le collectif des Coteaux du Bois-Hardy est hétéroclite. Composé en grande partie d’habitant·e·s du quartier, souvent primo-militant·e·s, il rassemble des individus aux sensibilités politiques variées, les engagements de certain·e·spouvant êtrequalifiés d’infra-politiques (au sens d’ordinaires, quotidiens et pratiques plutôt que théoriques). L’action collective s’y est construite au rythme des opportunités humaines, des calendriers politiques ou des procédures institutionnelles (mobilisation lors de l’enquête publique en 2019, recours au tribunal administratif en 2020, etc.). Elle s’est aussi solidifiée autour de plusieurs compromis : spatial tout d’abord par la sanctuarisation de l’espace non-artificialisé à préserver ; de posture ensuite, en veillant à s’inscrire dans un rapport de force sans rompre la négociation avec les acteurs publics. Cette attitude a conduit le collectif à investir les espaces de participation officiels ouverts par l’institution en 2017, puis lors d’une nouvelle procédure en 2021. Cette seconde concertation est mise en place après une « remise à plat » du nombre de logements par les élus en décembre 2019 à l’approche des élections municipales de 2020.
4L’activité politique du collectif s’est aussi consolidée autour d’un contre-projet pour la friche, testé en partie en actes par des activités ritualisées de jardinage sur des parcelles individuelles et collectives occupées en squat, mais aussi par l’organisation d’évènements culturels et festifs et le relogement de familles sans-abris dans les maisons préemptées par l’institution. Favorisant la formation d’une communauté de résidence, elle est devenue un support pour revendiquer l’auto-gestion des espaces et continuer à penser la vie de quartier. Contre la destruction de ce que le collectif considère comme l’un des rares réservoirs de biodiversité en ville, ses membres se positionnent comme les garant·e·s de la « nature » face au projet de logements. Une attention au vivant et aux non-humains que le collectif relie à un écosystème de liens sociaux ancrés dans la proximité au quartier.
5La préservation de ce cadre de vie est mobilisée pour peser dans le processus d’élaboration du projet que le collectif tente d’ouvrir (figure 1). Des propositions concrètes ont été formulées par certain·e·s de ses membres, comme celle de conditionner l’emprise des constructions aux recommandations des écologues ou d’associer des citoyen·ne·s tiré·e·s au sort dans une gouvernance tripartite avec les élus-techniciens, et le collectif mobilisé. Ces propositions rejetées et la dernière concertation prise en étau par les cadres du « Dialogue Citoyen » n’ont pas permis de faire une place à ces riverain·e·s dans les processus de conception et de gouvernance du projet.
6Si cette controverse nous éclaire sur les oppositions aux injonctions à « refaire la ville sur elle-même », elle met également en lumière la difficulté des pouvoirs publics nantais à partager la décision avec des groupes non-invités à participer ou organisés en dehors des procédures institutionnelles.
Figure 1 - Cartographie de contre-proposition du projet pour le Bois Hardy, septembre 2021
Source : Collectif des Coteaux du Bois Hardy
Pour citer ce document
Lucile Garnier, 2022 : « Au Bois-Hardy, l’opposition au projet urbain dans l’impasse du « Dialogue Citoyen » », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 07/11/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=831, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.831.
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Bibliographie
Bourgoin J.-L., « L’expérience d’une écriture en friche », Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 2 juillet 2020. https://www.metropolitiques.eu/L-experience-d-une-ecriture-en-friche-1524.html
Clermont A, « Jardin contre béton, le bras de fer du Bois-Hardy », Ouest France, le 18 octobre 2019.
COLLECTIF DES COTEAUX DU BOIS HARDY, Le collectif d’acteurs des coteaux du Bois Hardy, la vision partagée, annexes du cahier de préconisations, janvier 2018.
Dialogue citoyen, Archives en ligne de l’atelier Le quartier du Bois Hardy Demain, janvier 2018 - mai 2022. https://dialoguecitoyen.metropole.nantes.fr/projects/amenagement-du-bois-hardy/posts
Garnier L., Devisme L., « Se mobiliser dans et contre la métropole : les activités critiques de l’action publique territorialisée à Nantes, entre scènes et coulisses. Le cas du Bois Hardy » Métropoles [en ligne], 30|2022, mis en ligne le 30 juin 2022. DOI : 10.4000/metropoles.8625
Pinson D., L’indépendance confisquée d’une ville ouvrière : Chantenay, Labenne, Arts, Cultures, Loisirs, 1982.
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À Nantes comme ailleurs, l’agir urbanistique de ces dernières décennies érige le principe de densification comme une des solutions opérationnelles les plus légitimes pour construire la « ville durable » et lutter contre la hausse des prix du foncier ou l’étalement urbain. Pour certains groupes d’habitant·e·s, l'acceptabilité de ce registre ne va pas de soi et l’atterrissage de ces programmes peut provoquer de vives tensions. La controverse portée par le collectif des coteaux du Bois-Hardy nous permet d’illustrer ces oppositions à la fois environnementales et démocratiques.
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