Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les déchets nantais : exportations et flux cachés du métabolisme urbain

par Jean-Baptiste Bahers, Christophe Batardy et Frédéric Barbe

planche publiée le 18 décembre 2019

À l’heure où la production de déchets et leur recyclage deviennent une préoccupation de plus en plus importante, quel bilan faire à ce sujet à l’échelle d’un·e habitant·e de la Métropole ? Au-delà des déchets ménagers, cette planche s’intéresse à l’exportation de toutes les catégories de déchets, et à l’empreinte matérielle de la consommation de biens. Si le cas nantais ne fait pas figure d’exception en France, il est révélateur des fausses croyances concernant la gestion urbaine des rejets.

1Contrairement aux idées reçues et véhiculées par les omniprésentes campagnes nationales et locales de sensibilisation, les déchets des ménages ne représentent qu’une part tout à fait minoritaire (14 %) du total des déchets produits dans Nantes Métropole en 2017, avec 475 kg/hab, c’est-à-dire 309 kt (1kt = 1 000 tonnes) en légère baisse de 6 % depuis 2010, ce qui est inférieur aux déchets des activités économiques (366 kt) et surtout du seul secteur du BTP (1 535 kt).

2Même si les discours des institutions publiques et des entreprises glorifient l’ère du recyclage, les déchets restent un des symboles du capitalocène (ce terme, contrairement à celui d’anthropocène, entend rappeler que c’est bien l’activité humaine structurée par le mode de production capitaliste qui est la principale cause des déséquilibres environnementaux), tant ce système économique produit aussi des rejets qui rentrent à leur tour dans un « échange écologique inégal », ces résidus devenant même un nouveau marché à conquérir. Ce sont les recherches sur le métabolisme des sociétés, en matérialisant les échanges économiques mondiaux, qui permettent de mesurer et suivre la trajectoire de ces déchets, à partir de l’ensemble des flux d’énergie et de matière qui permet le fonctionnement des territoires. Qu’en est-il du métabolisme urbain de Nantes Métropole ?

Des déchets qui voyagent loin

3Autre fausse croyance lorsqu’on pense aux déchets urbains : leur cycle de vie ne s’arrête pas à la première infrastructure de traitement comme le montre le cas nantais (figure 1). Un réseau complexe d’infrastructures les exporte en effet au-delà des frontières administratives de la Métropole. C’est le cas par exemple des résidus solides produits par les incinérateurs nantais (les mâchefers) qui sont enfouis ou servent de sous-couche routière dans les départements limitrophes, ou encore des résidus des fumées d'incinération hautement toxiques qui sont traités dans un centre d’enfouissement de déchets dangereux à 130 km en Mayenne, sans compter les émissions de dioxyde de carbone... Même les déchets verts participent faiblement d’un « retour à la terre » à proximité, car contrairement aux idées reçues, les agriculteurs·rices sont de plus en plus réticents pour accepter le compost urbain. Il faut par ailleurs trouver des carrières à remblayer pour les gravats. Les centres de tri des déchets dans la Métropole nantaise, qu’ils soient publics ou privés, fournissent des centres de recyclage qui alimentent des usines françaises et européennes, ou par porte-containers les circuits mondiaux des matières secondaires, notamment les métaux non ferreux, la ferraille, les papiers-cartons et plastiques. Cette stratégie basée sur l’exportation des flux de déchets est d’ailleurs en difficulté du fait des réticences récentes des pays comme la Chine ou les Philippines à recevoir ces résidus.

Figure 1 - Exportation des déchets nantais à quatre échelles géographiques (urbaines, régionales, nationales et mondiales) et origine des flux cachés

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4De plus, le recyclage de tous ces déchets reste faible (600 kt) et majoritairement exporté, ce qui participe donc peu à la réduction des impacts environnementaux de la Métropole malgré les nombreux efforts qui sont fournis par les habitant·e·s pour mieux trier leurs déchets. Les actions de sensibilisation au tri ont en partie pour conséquence de déresponsabiliser des effets négatifs de la consommation, en ne remettant pas en cause la logique sous-jacente. D’ailleurs, les actions de prévention ne comptent que pour 1,5 % du budget de la Métropole en matière de déchet ménager, la majorité des coûts de gestion étant imputables à l’incinération des ordures (sac bleu).

Les flux cachés de la production des objets

5S’agissant des produits et objets consommés sur le territoire nantais, ils cachent la part des ressources utilisées sur d’autres territoires. Ce sont les « flux cachés » liés aux importations de marchandises, c’est-à-dire toute l’énergie et les matériaux nécessaires tout au long de la chaine d’approvisionnement pour produire les biens consommés in fine sur le territoire. C’est le cas des déchets nucléaires qui sont produits pour l’importation d’électricité. Pour Nantes Métropole, ces flux cachés ont même augmenté de 46 % par habitant depuis 2000 et « pèsent » vingt fois plus que la production de déchets directs nantais, soit 22 000 kg/hab pour l’importation des appareils manufacturés, 7 000 kg/hab pour les produits métallurgiques et 1 100 kg/hab pour les combustibles fossiles. Pour ces trois catégories de flux, les impacts cachés sont majoritairement localisés en Chine, Russie, Algérie, USA, Moyen-Orient, Inde, Allemagne et Brésil (par ordre hiérarchique).

6Pour les flux agroalimentaires et de construction, la majorité des flux cachés provient des départements limitrophes, véritables territoires d’extraction et de rejet, « stigmates » du capitalocène urbain avec ses carrières et ses décharges. Finalement, le cas de la Métropole nantaise illustre l’incapacité des territoires, comme d’autres à Rennes ou Le Mans, à faire face à leur empreinte matérielle, malgré les discours et les efforts réels.

Pour citer ce document

Jean-Baptiste Bahers, Christophe Batardy et Frédéric Barbe, 2019 : « Les déchets nantais : exportations et flux cachés du métabolisme urbain », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 18/12/2019, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=289, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.289.

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Bibliographie

Une grande partie des données utilisées dans ce texte est issue du rapport d’un groupe étudiant de l’Ecole des Métiers de l’Environnement (EME) : Cornu G., Dawid B., Le Priellec S., Morvan H. (encadrement Bahers J.-B.), 2017, Le métabolisme de Nantes Métropole – données 2012, ou comment inscrire le territoire dans une démarche d’économie circulaire, Rapport d’étude de la formation mastère de l’EME.

Bahers J.-B., Barles S., Durand M., « Urban Metabolism of Intermediate Cities: The Material Flow Analysis, Hinterlands and the Logistics-Hub Function of Rennes and Le Mans (France) », Journal of Industrial Ecology, vol. 23, n° 3, 2019, p. 686-698.

Bonneuil C., « Capitalocène ». EcoRev’, n° 44 (1), 2017, p. 52-60.

Durand M., Bahers J.-B., Beraud H., « Vers une économie circulaire... de proximité ? Une spatialité à géométrie variable ». Déchets, Sciences et Techniques, 2016, n71.

Krausmann F., Lauk C., Haas W, Wiedenhofer D. « From resource extraction to outflows of wastes and emissions: The socioeconomic metabolism of the global economy, 1900–2015 ». Global Environmental Change, vol. 52, 2018, p. 131-140.

Monsaingeon B. Homo detritus - Critique de la société du déchet, Paris Le Seuil, 2017.

Jean-Baptiste Bahers

Géographe, Chargé de recherche CNRS, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Résumé

À l’heure où la production de déchets et leur recyclage deviennent une préoccupation de plus en plus importante, quel bilan faire à ce sujet à l’échelle d’un·e habitant·e de la Métropole ? Au-delà des déchets ménagers, cette planche s’intéresse à l’exportation de toutes les catégories de déchets, et à l’empreinte matérielle de la consommation de biens. Si le cas nantais ne fait pas figure d’exception en France, il est révélateur des fausses croyances concernant la gestion urbaine des rejets.

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