Les travailleuses des classes populaires de la métropole nantaise : plus nombreuses que les hommes mais invisibles
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« Premières de corvées » dans les hôpitaux ou les commerces, les travailleuses ont été mises en lumière pendant la crise sanitaire, comme en témoigne notamment le film Debout les femmes de François Ruffin. Cette reconnaissance – toute relative – souligne l’invisibilité qui touche les femmes de classes populaires habituellement. En s’intéressant de près à plusieurs catégories d’employées hautement féminisés, cette planche vise à mieux saisir leur place dans la métropole nantaise et leur expérience de celle-ci.
Le travail des employées et des ouvrières
1L’expérience de la ville par les femmes est rarement abordée sous l’angle du travail, alors que leur taux d’activité (70 % sur la trance d’âge 15-64 ans) approche aujourd’hui celui des hommes (76 %). Dans les milieux populaires en particulier, les femmes ont toujours travaillé. Au sein de l’aire d’attraction de Nantes, les classes populaires, définies comme le regroupement des employées et des ouvriers selon la nomenclature socioprofessionnelle de l’Insee, sont même majoritairement féminines en 2018. Parmi les résidentes et résidents de l’aire d’attraction, on compte en effet 112 644 employées et ouvrières (47 % des femmes actives) contre 99 975 employés et ouvriers (40 % des hommes actifs). Elles se concentrent en particulier dans la catégorie des employé.es, dont 77 % sont des femmes.
2L’analyse des catégories d’emplois localisées au sein de l’aire d’attraction (figure 1) montre que les femmes des classes populaires sont notamment assistantes maternelles, aides à domicile, auxiliaires de vie, employées de maison, vendeuses, hôtesses de caisse, soit des emplois considérés comme peu qualifiés (34 % des emplois féminins populaires de l’aire d’attraction de Nantes). Le poids des emplois de la fonction publique reste important (27 %). 11 % d’entre elles sont aussi ouvrières peu qualifiées, notamment dans l’artisanat et l’industrie.
Figure 1 - Catégories d’emploi au lieu de travail des femmes des classes populaires de l’aire d’attraction de Nantes en 2018
Effectifs | Part de la catégorie dans l’ensemble des femmes de classes populaires (%) | |
Employées civile et agentes de service fonction publique | 27 918 | 27,4 |
Policières et militaires | 924 | 0,9 |
Employées administratives d'entreprise | 22 420 | 22,0 |
Employées de commerce | 13 201 | 12,9 |
Personnels des services directs particuliers | 21 590 | 21,2 |
Ouvrières qualifiées de type industriel et artisanal | 4 382 | 4,3 |
Ouvrières peu qualifiées, ouvrières de la logistique et des transports et de l'agriculture | 11 516 | 11,3 |
Ensemble des emplois occupés par des femmes classes populaires | 10 1951 | 100,0 |
Note de lecture : ce tableau présente les emplois au lieu de travail, dont l’Insee propose en accès libre la catégorie socioprofessionnelle détaillée en 29 postes à l’échelle de l’aire d’attraction de Nantes. Le total des emplois au lieu de travail est différent de celui des résidentes employées et ouvrières actives, qui s’élève à 112 644. Une partie de ces dernières est au chômage ou travaille en dehors de l’aire d’attraction de Nantes.
Source : Insee, RP2018 exploitation complémentaire, géographie au 01/01/2021.
La géographie du travail populaire féminin : entre centre-ville et marges de l’aire urbaine
3Formant le plus souvent un ménage avec des ouvriers, les femmes des classes populaires résident en grande partie dans les quartiers populaires d’habitat social de l’agglomération et certaines communes périurbaines éloignées. Mais leur appropriation de la ville n’est pas la même que celle des hommes, notamment parce qu’elles ne travaillent pas dans les mêmes lieux et secteurs d’activités (figure 2). Elles sont plus nombreuses à travailler dans la ville-centre, notamment les employées des services publics et des administrations d’entreprise. Elles sont également nombreuses aux marges de l’aire urbaine, notamment dans les services aux particuliers (correspondant largement au secteur dit du « care »).
Figure 2 - Répartition des emplois populaires selon entre la commune de Nantes, sa banlieue et sa couronne périurbaine en 2018
Catégories du zonage en aires urbaines 2010 | Nombre d’emplois populaires féminins | Part des emplois populaires féminins | Nombre d’emplois populaires masculins | Part des emplois populaires masculins | Nombre d’employées de commerce | Part des employées de commerce | Nombre d’employées des services aux particuliers | Part des employées des services aux particuliers | Nombre d’employées service public | Part des employées service public | Nombre d’employées administratives d'entreprise | Part des employées administratives d'entreprise |
Commune de Nantes | 39 613 | 39,6 | 30 855 | 34,8 % | 4 550 | 35,3 % | 7 567 | 35,4 % | 12 775 | 46,3 % | 9 920 | 44,9 % |
Banlieue de Nantes | 36 790 | 36,8 | 35 738 | 40,3 % | 5 857 | 45,4 % | 7 374 | 34,5 % | 8 247 | 29,9 % | 9 077 | 41,1 % |
Couronne de Nantes | 23 677 | 23,7 | 22 195 | 25,0 % | 2 501 | 19,4 % | 6 430 | 30,1 % | 6 546 | 23,7 % | 3 096 | 14,0 % |
Total | 100 080 | 88 788 | 12 907 | 21 372 | 27 567 | 22 093 |
Source : Insee, zonage en aire urbaine 2010 et RP2018 exploitation complémentaire
Des femmes invisibles ?
4Si les classes populaires sont moins visibles aujourd’hui dans l’espace social et géographique que dans les années 1970, c’est particulièrement le cas pour les femmes exerçant des métiers de service, dont les lieux de travail sont éclatés. En nous concentrant sur des professions très féminisées, nous pouvons réfléchir à l’expérience de la ville par les femmes des classes populaires et comparer deux pôles de cet ensemble : les travailleuses des services à la personne (aides à domicile, auxiliaires de vie, assistantes maternelles, employées de maison, etc.) et les employées de commerce (vendeuses, hôtesses de caisse, etc.).
5Les premières peuvent espérer obtenir un emploi près de leur lieu de résidence, puisque ces services sont par nature déployés à l’échelle de l’ensemble de l’aire urbaine, avec cependant des proportions élevées dans la couronne périurbaine éloignée (figures 2 et 3). Cette proximité crée du lien entre lieux de vie et de travail, voire un recouvrement total pour les assistantes maternelles exerçant à leur domicile, mais le métier ne permet pas de développer des sociabilités professionnelles importantes, ce qui contribue à une forme d’invisibilité. Ces femmes se plaignent ainsi souvent de leur isolement au quotidien et ne peuvent créer du lien avec leurs collègues que de façon éphémère dans un parc par exemple, à l’image des assistantes maternelles. Leur occupation de l’espace public se résume aussi le plus souvent à des déplacements en voiture d’un domicile à un autre.
Figure 3 - Lieux de travail des femmes personnels des services aux particuliers en 2018
6Les employées du commerce, en particulier les vendeuses en habillement, travaillent quant à elles majoritairement dans les communes de l’agglomération nantaise (figures 2 et 4). On les trouve notamment dans le centre-ville de Nantes ou dans les centres commerciaux situés à la lisière de l’agglomération (Atlantis, Paridis, etc.). Leur lieu de résidence est donc dissocié de leur lieu de travail. Si leur présence est notable dans les centres commerciaux où beaucoup de boutiques sont concentrées, elle est plus diffuse dans le centre-ville, bien que cet espace soit particulièrement féminin en journée. Elles forment néanmoins et à l’inverse des travailleuses des services aux particuliers un groupe plus visible. En fonction du type de boutique, elles sont en relation avec des clients – plus souvent des clientes – de milieux sociaux différents. Elles sont aussi en interaction avec des livreurs approvisionnant les magasins et, de plus en plus, partant livrer des clients à domicile. Ces derniers constituent d’ailleurs l’une des figures contemporaines des classes populaires masculines.
7Les types d’emploi occupés par les femmes de classes populaires et leur appropriation de l’espace urbain conduisent à une invisibilisation de ce groupe social, renforcée par un isolement pour celles qui travaillent à domicile. À l’instar des hommes ouvriers et employés, c’est aussi le manque de représentation politique des classes populaires qui explique leur faible présence dans l’espace social, excepté lors de mouvements sociaux comme les Gilets Jaunes.
Figure 4 - Lieux de travail des femmes employées de commerce en 2018
Pour citer ce document
Eve Meuret-Campfort et Nicolas Raimbault, 2022 : « Les travailleuses des classes populaires de la métropole nantaise : plus nombreuses que les hommes mais invisibles », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 25/11/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=848, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.848.
Autres planches in : Distinguer des groupes sociaux
Bibliographie
Avril C., Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014.
Schweitzer S., Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002.
I bos C., Qui gardera nos enfants ? Les nounous et les mères. Une enquête, Paris, Flammarion, 2012.
Mosconi N., Paoletti M., Raibaud, Y., « Le genre, la ville ». Travail, genre et sociétés, n° 33, 2015, p. 23-28. https://doi.org/10.3917/tgs.033.0023
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Résumé
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