Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les travailleuses des classes populaires de la métropole nantaise : plus nombreuses que les hommes mais invisibles

par Eve Meuret-Campfort et Nicolas Raimbault

planche publiée le 25 novembre 2022

« Premières de corvées » dans les hôpitaux ou les commerces, les travailleuses ont été mises en lumière pendant la crise sanitaire, comme en témoigne notamment le film Debout les femmes de François Ruffin. Cette reconnaissance – toute relative – souligne l’invisibilité qui touche les femmes de classes populaires habituellement. En s’intéressant de près à plusieurs catégories d’employées hautement féminisés, cette planche vise à mieux saisir leur place dans la métropole nantaise et leur expérience de celle-ci.

Le travail des employées et des ouvrières

1L’expérience de la ville par les femmes est rarement abordée sous l’angle du travail, alors que leur taux d’activité (70 % sur la trance d’âge 15-64 ans) approche aujourd’hui celui des hommes (76 %). Dans les milieux populaires en particulier, les femmes ont toujours travaillé. Au sein de l’aire d’attraction de Nantes, les classes populaires, définies comme le regroupement des employées et des ouvriers selon la nomenclature socioprofessionnelle de l’Insee, sont même majoritairement féminines en 2018. Parmi les résidentes et résidents de l’aire d’attraction, on compte en effet 112 644 employées et ouvrières (47 % des femmes actives) contre 99 975 employés et ouvriers (40 % des hommes actifs). Elles se concentrent en particulier dans la catégorie des employé.es, dont 77 % sont des femmes.

2L’analyse des catégories d’emplois localisées au sein de l’aire d’attraction (figure 1) montre que les femmes des classes populaires sont notamment assistantes maternelles, aides à domicile, auxiliaires de vie, employées de maison, vendeuses, hôtesses de caisse, soit des emplois considérés comme peu qualifiés (34 % des emplois féminins populaires de l’aire d’attraction de Nantes). Le poids des emplois de la fonction publique reste important (27 %). 11 % d’entre elles sont aussi ouvrières peu qualifiées, notamment dans l’artisanat et l’industrie.

Figure 1 - Catégories d’emploi au lieu de travail des femmes des classes populaires de l’aire d’attraction de Nantes en 2018

Effectifs Part de la catégorie dans l’ensemble des femmes de classes populaires (%)
Employées civile et agentes de service fonction publique 27 918 27,4
Policières et militaires 924 0,9
Employées administratives d'entreprise 22 420 22,0
Employées de commerce 13 201 12,9
Personnels des services directs particuliers 21 590 21,2
Ouvrières qualifiées de type industriel et artisanal 4 382 4,3
Ouvrières peu qualifiées, ouvrières de la logistique et des transports et de l'agriculture 11 516 11,3
Ensemble des emplois occupés par des femmes classes populaires 10 1951 100,0

Note de lecture : ce tableau présente les emplois au lieu de travail, dont l’Insee propose en accès libre la catégorie socioprofessionnelle détaillée en 29 postes à l’échelle de l’aire d’attraction de Nantes. Le total des emplois au lieu de travail est différent de celui des résidentes employées et ouvrières actives, qui s’élève à 112 644. Une partie de ces dernières est au chômage ou travaille en dehors de l’aire d’attraction de Nantes.

Source : Insee, RP2018 exploitation complémentaire, géographie au 01/01/2021.

La géographie du travail populaire féminin : entre centre-ville et marges de l’aire urbaine

3Formant le plus souvent un ménage avec des ouvriers, les femmes des classes populaires résident en grande partie dans les quartiers populaires d’habitat social de l’agglomération et certaines communes périurbaines éloignées. Mais leur appropriation de la ville n’est pas la même que celle des hommes, notamment parce qu’elles ne travaillent pas dans les mêmes lieux et secteurs d’activités (figure 2). Elles sont plus nombreuses à travailler dans la ville-centre, notamment les employées des services publics et des administrations d’entreprise. Elles sont également nombreuses aux marges de l’aire urbaine, notamment dans les services aux particuliers (correspondant largement au secteur dit du « care »).

Figure 2 - Répartition des emplois populaires selon entre la commune de Nantes, sa banlieue et sa couronne périurbaine en 2018

Catégories du zonage en aires urbaines 2010 Nombre d’emplois populaires féminins Part des emplois populaires féminins Nombre d’emplois populaires masculins Part des emplois populaires masculins Nombre d’employées de commerce Part des employées de commerce Nombre d’employées des services aux particuliers Part des employées des services aux particuliers Nombre d’employées service public Part des employées service public Nombre d’employées administratives d'entreprise Part des employées administratives d'entreprise
Commune de Nantes 39 613 39,6 30 855 34,8 % 4 550 35,3 % 7 567 35,4 % 12 775 46,3 % 9 920 44,9 %
Banlieue de Nantes 36 790 36,8 35 738 40,3 % 5 857 45,4 % 7 374 34,5 % 8 247 29,9 % 9 077 41,1 %
Couronne de Nantes 23 677 23,7 22 195 25,0 % 2 501 19,4 % 6 430 30,1 % 6 546 23,7 % 3 096 14,0 %
Total 100 080 88 788 12 907 21 372 27 567 22 093

Source : Insee, zonage en aire urbaine 2010 et RP2018 exploitation complémentaire

Des femmes invisibles ?

4Si les classes populaires sont moins visibles aujourd’hui dans l’espace social et géographique que dans les années 1970, c’est particulièrement le cas pour les femmes exerçant des métiers de service, dont les lieux de travail sont éclatés. En nous concentrant sur des professions très féminisées, nous pouvons réfléchir à l’expérience de la ville par les femmes des classes populaires et comparer deux pôles de cet ensemble : les travailleuses des services à la personne (aides à domicile, auxiliaires de vie, assistantes maternelles, employées de maison, etc.) et les employées de commerce (vendeuses, hôtesses de caisse, etc.).

5Les premières peuvent espérer obtenir un emploi près de leur lieu de résidence, puisque ces services sont par nature déployés à l’échelle de l’ensemble de l’aire urbaine, avec cependant des proportions élevées dans la couronne périurbaine éloignée (figures 2 et 3). Cette proximité crée du lien entre lieux de vie et de travail, voire un recouvrement total pour les assistantes maternelles exerçant à leur domicile, mais le métier ne permet pas de développer des sociabilités professionnelles importantes, ce qui contribue à une forme d’invisibilité. Ces femmes se plaignent ainsi souvent de leur isolement au quotidien et ne peuvent créer du lien avec leurs collègues que de façon éphémère dans un parc par exemple, à l’image des assistantes maternelles. Leur occupation de l’espace public se résume aussi le plus souvent à des déplacements en voiture d’un domicile à un autre.

Figure 3 - Lieux de travail des femmes personnels des services aux particuliers en 2018

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6Les employées du commerce, en particulier les vendeuses en habillement, travaillent quant à elles majoritairement dans les communes de l’agglomération nantaise (figures 2 et 4). On les trouve notamment dans le centre-ville de Nantes ou dans les centres commerciaux situés à la lisière de l’agglomération (Atlantis, Paridis, etc.). Leur lieu de résidence est donc dissocié de leur lieu de travail. Si leur présence est notable dans les centres commerciaux où beaucoup de boutiques sont concentrées, elle est plus diffuse dans le centre-ville, bien que cet espace soit particulièrement féminin en journée. Elles forment néanmoins et à l’inverse des travailleuses des services aux particuliers un groupe plus visible. En fonction du type de boutique, elles sont en relation avec des clients – plus souvent des clientes – de milieux sociaux différents. Elles sont aussi en interaction avec des livreurs approvisionnant les magasins et, de plus en plus, partant livrer des clients à domicile. Ces derniers constituent d’ailleurs l’une des figures contemporaines des classes populaires masculines.

7Les types d’emploi occupés par les femmes de classes populaires et leur appropriation de l’espace urbain conduisent à une invisibilisation de ce groupe social, renforcée par un isolement pour celles qui travaillent à domicile. À l’instar des hommes ouvriers et employés, c’est aussi le manque de représentation politique des classes populaires qui explique leur faible présence dans l’espace social, excepté lors de mouvements sociaux comme les Gilets Jaunes.

Figure 4 - Lieux de travail des femmes employées de commerce en 2018

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Pour citer ce document

Eve Meuret-Campfort et Nicolas Raimbault, 2022 : « Les travailleuses des classes populaires de la métropole nantaise : plus nombreuses que les hommes mais invisibles », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 25/11/2022, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=848, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.848.

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Bibliographie

Avril C., Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014.

Schweitzer S., Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002.

I bos C., Qui gardera nos enfants ? Les nounous et les mères. Une enquête, Paris, Flammarion, 2012.

Mosconi N., Paoletti M., Raibaud, Y., « Le genre, la ville ». Travail, genre et sociétés, n° 33, 2015, p. 23-28. https://doi.org/10.3917/tgs.033.0023

Eve Meuret-Campfort

Chargée de recherche CNRS, centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris (CRESPPA), Cultures et sociétés Urbaines, UMR 7217

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Eve Meuret-Campfort

Résumé

« Premières de corvées » dans les hôpitaux ou les commerces, les travailleuses ont été mises en lumière pendant la crise sanitaire, comme en témoigne notamment le film Debout les femmes de François Ruffin. Cette reconnaissance – toute relative – souligne l’invisibilité qui touche les femmes de classes populaires habituellement. En s’intéressant de près à plusieurs catégories d’employées hautement féminisés, cette planche vise à mieux saisir leur place dans la métropole nantaise et leur expérience de celle-ci.

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