Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

« Contre la métropole et son monde ». Une cartographie des mobilisations contre la métropolisation nantaise

par Laura Mehtali

planche publiée le 06 octobre 2024

En polissant son image de « ville attractive » à l’appui de campagnes de marketing territorial, de grands projets et de politiques publiques négociées dans le huis clos des instances communautaires, les édiles de la métropole nantaise s’exposent à des résistances croissantes de la part de collectifs de militants et d’habitants qui contestent ces projets. Le slogan « contre la métropole et son monde », présent régulièrement dans les cortèges des manifestations nantaises, invite à explorer les multiples fronts d’une critique politique de la métropolisation. Les mythes de l’attractivité, de la compétitivité et de la croissance territoriale y sont construits en enjeux politiques par ces collectifs.

1Occupations de Zones d’Aménagements Concertées en vue d’y dénoncer la spéculation immobilière des quartiers nantais, contestations des rénovations du quartier de Bellevue, mobilisations face à la muséification, la mise en tourisme et la gentrification du Bas-Chantenay, refus de la marchandisation et de la privatisation du stade de la Beaujoire, luttes contre la création de grandes emprises économiques à Saint-Père-en-Retz, au Carnet et à Montbert. Cette liste (figure 1) non exhaustive donne un aperçu des mobilisations qui questionnent, bousculent voire remettent fondamentalement en cause un modèle de développement métropolitain fondé sur une stratégie de croissance, d’attractivité et de compétitivité, dans un contexte plus large de forte mise concurrence interurbaine entre métropoles. En termes de dynamique de peuplement, donc d’impact direct sur les populations, ce modèle est loin d’être neutre, tant il favorise l’arrivée de ménages issus des classes supérieures au pouvoir d’achat immobilier élevé, réduisant de fait l’offre résidentielle disponible pour des groupes sociaux plus modestes. Par-delà leur dispersion géographique et leurs diversité sociologique, que nous apprennent ces « luttes urbaines » sur la perception de la stratégie de métropolisation impulsées par les élites politiques et économiques de la métropole ?

Figure 1 - Géographie non-exhaustive des mobilisations contre la métropolisation nantaise en 2019

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« Il y a un mépris de classe institutionnalisé dans cette métropole ! »

2Accroissements des inégalités, éviction des classes populaires, logiques d’exclusions des « indésirables » du centre-ville, flambée des prix de l’immobilier, les discours dénonçant les politiques d’attractivité métropolitaine se fondent sur la dénonciation des injustices sociales comme étant autant de trajectoires de vies, de pratiques et de sociabilités ordinaires heurtées par la mise en concurrence des individus, des lieux et des activités. Les collectifs mobilisés contre la métropolisation de l’agglomération nantaise dénoncent à la fois l’invisibilisation du vécu et de l’identité populaires d’anciens quartiers ouvriers du cœur de ville, comme Madeleine – Champs de Mars, et le tri social opéré par les politiques urbaines en faveur d’une population plus « conforme » à la hiérarchie métropolitaine. Quand certains collectifs s’approprient le droit à la participation au débat public afin d’influer sur l’agenda urbain (Beau-Tiers-Lieux et le Bois Hardy), d’autres dénoncent l’instrumentalisation des politiques de développement durable (Jardin des Ronces), des politiques culturelles (la commune de Chantenay), de rénovation des quartiers d’habitat social et de relogement hors-site de ces occupants (collectif le Village à Défendre qui s’oppose à la rénovation du village de la Bernardière, à Saint-Herblain, dans le quartier Bellevue). Toutes ces mobilisations dénoncent les objectifs poursuivis par les politiques d’attractivité métropolitaine, qui consistent à attirer les investisseurs immobiliers, les groupes sociaux les plus privilégiés et les touristes.

« On maquille en vert de nombreux projets qui n’ont rien d’écologiques, on s’accapare des terres en plus d’être peu démocratiques »

3Concentration de la population et des activités à forte valeur ajoutée dans le centre urbain au détriment des campagnes, des villes petites et moyennes, artificialisation et imperméabilisation des sols, pollution, dépendance énergétique et automobile, éloignement des services de santés : les effets environnementaux et sanitaires de la métropolisation suscitent des conflits bien au-delà des frontières institutionnelles de la métropole mais qui ne peuvent se comprendre sans les intérêts de ses élites urbaines. Dans la métropole, des conflits remettent en cause la disparition des espaces agricoles périurbains (la Coutelière), des réserves de biodiversité (Jardin des Ronces et le Bois Hardy) et des risques de fragilisation des sols et d’inondations (L’Amour les Forges et STOP CHU) lié à l’étalement et la densification urbaine. Tandis qu’hors de la métropole, l’exploitation des ressources à grande échelle (territoriales, énergétiques, alimentaires et humaines) suscite des mobilisations autour de la spécialisation fonctionnelle des territoires permettant au modèle économique de la métropole de se développer en captant les flux, énergétiques (Carnet et le Pellerin), de transports (Notre-Dames-des-Landes), de marchandises (Montbert) et touristiques (Brétignolles et Saint-Père-en-Retz).

4Si la course à la métropolisation influence largement les politiques locales en les subordonnant à des enjeux d’attractivité métropolitaine, d’autres forces sociales, culturelles et politiques contribuent donc à façonner la ville par leurs résistances (figure 2).

Photo 1 - Photographie prise à l'occasion de la manifestation du 29 février 2019, « Luttes du Grand Ouest contre les projets destructeurs, inutiles et imposés » organisée par les anciens membres de « Métropole en luttes » et de « Laisse béton », deux tentatives de structurer des réseaux de luttes de territoires.

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Crédit photo : Laura Mehtali

Pour citer ce document

Laura Mehtali, 2024 : « « Contre la métropole et son monde ». Une cartographie des mobilisations contre la métropolisation nantaise », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 04/10/2024, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=1014, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.1014.

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Bibliographie

Adam M., Guironnet A., Delfini A., Eliçabe R., Le Roulley S. et Snoriguzzi R., « "Et tout, le monde, déteste la métropole ? " Entretien avec la critique sociale », Métropoles [En ligne], n° 28, 2021. DOI : 10.4000/metropoles.8019

Aguilera T., « Contre la métropole et son monde : mouvements d’occupation et ZAD en France au XXème siècle », T. Frinault, C. Le Bart, E. Neveu (dir.), Nouvelle sociologie politique de la France, Paris, Armand Colin, 2021, 217-229.

Dechezelles S., Olive M. (dir.), « Lieux de conflits, conflits de lieux », Norois, n° 238-239, 2016. DOI : 10.4000/norois.5838

Pailloux A.-L., Ripoll F. (dir.), « Géographie(s) des mobilisations. Explorer la dimension spatiale de l’action collective », Carnets de géographes, n° 12, 2019. DOI : 10.4000/cdg.3958

Index géographique

Laura Mehtali

Géographe, Étudiante en M2, Nantes Université, IGARUN, Laboratoire Espaces et Sociétés

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Résumé

En polissant son image de « ville attractive » à l’appui de campagnes de marketing territorial, de grands projets et de politiques publiques négociées dans le huis clos des instances communautaires, les édiles de la métropole nantaise s’exposent à des résistances croissantes de la part de collectifs de militants et d’habitants qui contestent ces projets. Le slogan « contre la métropole et son monde », présent régulièrement dans les cortèges des manifestations nantaises, invite à explorer les multiples fronts d’une critique politique de la métropolisation. Les mythes de l’attractivité, de la compétitivité et de la croissance territoriale y sont construits en enjeux politiques par ces collectifs.

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