Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Qui est responsable des inégalités d’impacts écologiques ?

par Jean-Baptiste Bahers, Christophe Batardy et Nassour Yobom

planche publiée le 22 mai 2020

Des années 1960 à l’« écologisme des pauvres » défini en 2002 par Joan Martinez-Allier à partir de l’exemple des luttes environnementales menées par des classes populaires, un long chemin a été parcouru pour comprendre les relations entre justice sociale et justice environnementale. Il semble ainsi que les dimensions sociales et environnementales des inégalités soient liées. Est-ce le cas dans la région nantaise ? Quels processus étudier et comment l’observer ?

Inégalités environnementales ou (d’impacts) écologiques ?

1L’étude des inégalités environnementales montre que les populations les plus précaires supportent en premier lieu les risques et les nuisances environnementales. L’objectif de cette planche n’est pas d’examiner spatialement ces inégalités environnementales, mais plutôt de s’intéresser aux inégalités de contributions aux impacts écologiques, parfois nommées directement inégalités écologiques. Toutes les populations n’ont en effet pas les mêmes empreintes écologiques. Le CREDOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) a par exemple montré, au travers des enquêtes de tendances de consommation en 2019, que l’impact écologique d’un consommateur (notamment par ses émissions de gaz à effet de serre) dépend largement de son revenu et plus généralement de son capital économique. Par conséquent, les inégalités environnementales et écologiques peuvent se répondre : les populations les plus précaires subissent plus les nuisances environnementales, alors qu’elles ne sont pas celles qui contribuent le plus aux impacts écologiques qui affectent un territoire. C’est pourquoi le métabolisme des sociétés est profondément lié aux inégalités dans l’utilisation des ressources et au gaspillage : la moitié de la population mondiale, parmi la plus pauvre, vit ainsi dans des pays qui ne consomment qu'un quart des ressources de la Planète.

2Qu’en est-il localement ? Existe-t-il des relations statistiques entre inégalités écologiques et inégalités sociales dans la métropole nantaise ? Pour le savoir, des données de consommations d’énergie (2017), de production de déchets (2016) et d’empreinte carbone (2016) ont été analysées à l’échelle des communes et des intercommunalités de l’aire urbaine nantaise et du pôle métropolitain (en y associant donc les communes de la CARENE).

Corrélations entre inégalités socioéconomiques et métabolisme urbain

3Un double constat ressort. D’une part, plus le taux de pauvreté est élevé dans les intercommunalités et moins la production de déchets ménagers est importante (figure 1). Cela révèle que les populations les plus précaires sont moins enclines à se débarrasser d’objets et matériaux désuets, probablement parce qu’elles ont moins à abandonner et à gaspiller.

Figure 1 - Les populations les plus précaires jettent moins de déchets…

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4D’autre part, pour les communes où existe le raccordement au gaz de ville, on observe que plus le niveau de vie des habitants par commune est élevé et plus la consommation de gaz l’est également (figure 2). Cette tendance rejoint le constat plus général d’une plus grande consommation des énergies fossiles – et donc de rejets de gaz à effet de serre – par les populations aux revenus les plus élevés.

Figure 2 - …et les populations riches consomment plus de gaz….

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Les seuls individus responsables du métabolisme urbain ? Le poids du système socio-technique

5Il serait pour autant hâtif de conclure sur la seule responsabilité de tel groupe social à l’impact écologique des territoires. Comme l’a montré l’étude de Carbone4, les leviers de réduction de l’empreinte carbone sont en effet pour un quart du registre individuel, mais relèvent pour les trois quarts du système socio-technique, à savoir l’industrie et notamment les industries énergétiques et de production des biens, les infrastructures routières et l’agriculture. C’est ce que montre la carte de l’empreinte carbone des EPCI (liées aux émissions comptabilisées au niveau du territoire où elles sont produites et à la consommation d'électricité – figure 3). Dans les espaces étudiés, le poids cumulé de l’agriculture, de l’industrie (y compris énergétique) et du transport est bien largement supérieur à celui du secteur résidentiel.

Figure 3 - …mais la part résidentielle des ménages est faible dans l’empreinte carbone des territoires

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6C’est pourquoi la géographie des inégalités sociales ne peut expliquer à elle seule l’empreinte écologique des territoires. Dès lors, sur-responsabiliser les habitants à la crise écologique, quel que soit leur niveau de revenu, au travers des gestes écocitoyens ne peut suffire à atteindre un métabolisme soutenable, qui nécessite aussi de repenser radicalement l’infrastructure, l’industrie et l’agriculture des territoires, pour rendre possible l’adoption de modes de production à la fois moins inégaux et plus respectueux des écosystèmes naturels. Justice sociale et justice environnementale doivent donc être arrimées à une transformation structurelle.

Pour citer ce document

Jean-Baptiste Bahers, Christophe Batardy et Nassour Yobom, 2020 : « Qui est responsable des inégalités d’impacts écologiques ? », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 22/05/2020, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=446, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.446.

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Bibliographie

Carbone4, Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique. http://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part/

Comby J.-B., La question climatique. Genèses et dépolitisation d’un problème public, Paris, Raisons d’Agir, 2015.

Duro J.A., Schaffartzik A., Krausmann F., 2018, « Metabolic Inequality and Its Impact on Efficient Contraction and Convergence of International Material Resource Use », Ecological Economics, n° 145, pp. 430-440. DOI : 10.1016/j.ecolecon.2017.11.029

Emelianoff C., « La problématique des inégalités écologiques, un nouveau paysage conceptuel », Écologie politique, n° 35, 2008/1, pp. 19-31. DOI : 10.3917/ecopo.035.0019

Sessego V., Hébel P., « Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures », Consommation et mode de vie, Crédoc, n° 303, mars 2019. https://www.credoc.fr/publications/consommation-durable-lengagement-de-facade-des-classes-superieures

Mots-clefs

Jean-Baptiste Bahers

Géographe, Chargé de recherche CNRS, Université de Nantes – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Nassour Yobom

Chargé de mission en stage à l'Institut de Recherche sur les Sciences et Techniques de la Ville (IRSTV), École Centrale de Nantes

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Résumé

Des années 1960 à l’« écologisme des pauvres » défini en 2002 par Joan Martinez-Allier à partir de l’exemple des luttes environnementales menées par des classes populaires, un long chemin a été parcouru pour comprendre les relations entre justice sociale et justice environnementale. Il semble ainsi que les dimensions sociales et environnementales des inégalités soient liées. Est-ce le cas dans la région nantaise ? Quels processus étudier et comment l’observer ?

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