Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Les logiques géographiques de l’affichage électoral à Nantes et Rezé lors de la présidentielle 2022

par Maximilien Steindorsson

planche publiée le 12 septembre 2024

Dans une étude pionnière sur l’affichage électoral dans la ville d’Angers en 1995, le géographe Vincent Veschambre rappelait que l’affiche est une « empreinte, afin d'accréditer symboliquement son contrôle du territoire ». Que peut-on dire de la géographie des affiches de campagne collées à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022 dans l’espace centre de la métropole nantaise ? Cette répartition correspond-elle à la géographie des votes ? Et de quelles stratégies de campagne de terrain sont-elles le nom ?

1Pour connaître la distribution géographique des affiches de campagne électorale dans le secteur central de la métropole (communes de Nantes et de Rezé), une série de relevés de terrain a été conduite entre le 15 février et le 10 avril 2022, jour du premier tour du scrutin présidentiel (figure 1).

Figure 1 - Trajets réalisés pour l'enquête et des panneaux d'affichage libre

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Sources : Relevés de terrain ; https://data.nantesmetropole.fr

2Lors de trajets dont l’itinéraire a été déterminé selon la présence de panneaux d’affichages libres (donc hors panneau d’affichage électoraux institutionnels installés à proximité des bureaux de vote), les affichages politiques en référence directe à l’un des candidats ont été systématiquement inventoriés, qu’ils soient présents sur ces panneaux d’affichage libre ou qu’ils s’agissent de « collages sauvages » dans le vocabulaire militant.

Des niveaux de présence des affiches témoignant des rapports de force électoraux localisés ?

Figure 2 - Répartition et dynamiques de collage des affiches électorales

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3Ce qui marque en premier lieu, c’est la distribution très inégale entre les différentes formations politiques, avec une nette surreprésentation de La France Insoumise (LFI), qui totalise 40 % des affiches (figure 2). Plus largement, les affiches de campagne des candidats associées à la gauche représentent plus des trois quarts des observations, ce qui confirme que « l’affiche reste associée à une culture militante de gauche » comme l’avait montré V. Veschambre sur la ville d’Angers. Cette sous-représentation des affiches des candidats situés à droite de l’échiquier politique peut également s’expliquer par un nombre plus réduit de militants dans deux villes – Nantes et Rezé – très ancrées à gauche. Enfin, il faut noter l’absence d’affiches en faveur de la candidature de M. Le Pen (RN) qui semble suivre la sous-représentation de ce vote dans les espaces centraux de la métropole. À l’inverse, l’activité plus importante des militants d’É. Zemmour, en comparaison des autres candidats de droite et d’extrême droite, traduit une forme de prolongement, dans l’espace physique, des dynamiques observées sur les réseaux sociaux.

4Dans la compétition présidentielle, la dimension temporelle de l’affichage est également une donnée éclairante des dynamiques politiques. On observe ainsi une augmentation du nombre d’affiches à l’approche du 1er tour, ce qui reflète l’intensité croissante de la campagne (figure 2). Là encore, c’est chez les candidats de gauche (J.-L. Mélenchon, Y. Jadot, F. Roussel) et É. Zemmour que l’on repère surtout cette dynamique, renvoyant soit à l’espoir d’atteindre le second tour, soit à l’enjeu de dépasser les 5 % afin de bénéficier du remboursement par l’État d’une partie des frais de campagne.

5La cartographie de l’affichage permet quant à elle de distinguer différents types de répartition géographique : en aire totale, sectorielle et/ou périphérique, ou en transect (figure 3).

Figure 3 - Comparaison de la répartition des affiches électorales par candidat et par bureau de vote aux résultats du premier tour

Figure 3a

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Figure 3b

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Figure 3c

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Figure 3a : répartition en aire totale et aire sectorielle
Figure 3b : répartition en transect
Figure 3c : répartition périphérique et micro-sectorielle

Sources : Relevés de terrain (février-avril 2022) ; https://data.nantesmetropole.fr

Trois logiques géographiques d’affichage dans l’espace urbain

6La première stratégie d’affichage en aire (figure 3a), renvoie à une logique d’occupation diffuse d’un secteur plus ou moins large. Pour LFI, la carte montre une volonté de diffusion sur l’ensemble du terrain étudié, témoignant de l’importance du vivier de militants et d’une certaine ambition électorale dans un contexte nantais politiquement favorable. Cette géographie de l’affichage comporte cependant quelques angles morts, à commencer par les beaux quartiers de l’ouest nantais, comme si coller des affiches dans ces quartiers traditionnellement ancrés à droite correspondait à une perte de temps militant. Cette zone, moins pourvue en affiches, correspond au barycentre des secteurs de répartition des affiches de deux des candidats de partis de droite et d’extrême droite (LR et Reconquête) couvrant plutôt le centre et le quart nord-ouest nantais. Cependant, plutôt que la couverture territoriale totale, ces militants ciblent plutôt les zones et lieux de fort passage sur des nœuds de circulation (photo 1), voire les espaces symboliques comme à l’université pour LR (où l’affichage est largement approprié par des organisations politiques et syndicales de la gauche radicale). Ces affiches, très visibles, y sont d’ailleurs rapidement détériorées puis recouvertes par des organisations concurrentes.

Photo 1 - Concurrence autour de lieux stratégiques de collage (Rezé, Confluence)

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Crédit photo : Maximilien Steindorsson

7La deuxième stratégie de collage renvoie à une distribution géographique selon des transects (figure 3b). Un seul parti, le NPA, correspond à ce deuxième type de distribution, où la présence des affiches suit une logique de couverture privilégiant une présence le long d’axes passants et un recours massif au collage dit sauvage qui représente 69 % des affiches (photo 2). Cette stratégie peut être le fait d'un nombre de militants plus limité, mais très mobiles, de manière à s’assurer une importante visibilité.

Photo 2 - Affichage "sauvage" le long du tramway à Bouffay

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Crédit photo : Maximilien Steindorsson

8Enfin, le reste des formations politiques occupe plutôt les espaces péricentraux au-delà de la ceinture des boulevards, où on distingue de petits pôles très localisés de collage (figure 3c). Cette micro-sectorisation peut correspondre à des marquages politiques traditionnels pouvant être observés de part et d’autre de la Sèvre pour F. Roussel, avec une forte présence dans la commune voisine de Rezé où se trouve un local du parti communiste. On peut également faire l’hypothèse que ces secteurs correspondent à des espaces de proximité résidentielle de noyaux militants plus âgés que ceux des partis précédents, leurs militants recourant d’ailleurs moins à l’affichage sauvage par socialisation politique et générationnelle.

9Pour conclure, la géographie des affichages électoraux reflète assez peu celle des votes, mais constitue plutôt un témoin des ambitions et contextes militants et politiques locaux. L’analyse de leur intensité est également révélatrice des dynamiques nationales de cette campagne. Plus largement, cette planche appelle une entrée plus qualitative permettant d’éclairer les intentions derrière ces stratégies spatialisées, et donc de préciser les différents rapports à l’espace entretenus par ces différents mouvements.

Pour citer ce document

Maximilien Steindorsson, 2024 : « Les logiques géographiques de l’affichage électoral à Nantes et Rezé lors de la présidentielle 2022 », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 07/11/2024, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=1023, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.1023.

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Bibliographie

Catlla M. « Les apparats d’éligibilité sur les affiches des élections municipales de 2020 », Images du travail, travail des images, n° 13, 2022. DOI : 10.4000/itti.2879

Veschambre V., « Affichage et territorialités électorales. Les présidentielles 1995 à Angers », Norois, n°175, 1997, p. 507-514. DOI : 10.3406/noroi.1997.6814

Veschambre V., « Affichage publicitaire et électoral : enjeux sociaux d'appropriation de l'espace public : réflexions à partir des exemples d'Angers (France) et de Timisoara (Roumanie) », Revue de l'Université de Moncton, n° 36, vol. 1, 2005, p. 289-320. DOI : 10.7202/011996ar

Index géographique

Maximilien Steindorsson

Docteur en aménagement urbanisme et chercheur associé à ESO Rennes

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Résumé

Dans une étude pionnière sur l’affichage électoral dans la ville d’Angers en 1995, le géographe Vincent Veschambre rappelait que l’affiche est une « empreinte, afin d'accréditer symboliquement son contrôle du territoire ». Que peut-on dire de la géographie des affiches de campagne collées à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022 dans l’espace centre de la métropole nantaise ? Cette répartition correspond-elle à la géographie des votes ? Et de quelles stratégies de campagne de terrain sont-elles le nom ?

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