Atlas Social de la métropole nantaise

Au-delà de la ville attractive

Paysages sonores (2/2). Inégalités sociales et environnements sonores

par Christèle Allès, Pierre Aumond, Arnaud Can et Claire Guiu

planche publiée le 10 octobre 2023

Très étudiée dans le domaine de la pollution de l’air, la question des inégalités environnementales a encore fait l’objet de peu d’études concernant les nuisances sonores. Les recherches menées en Amérique du Nord et en Europe occidentale aux niveaux de bruit les plus élevés. Des variations sont toutefois observées en fonction des contextes urbains. Qu’en est-il sur Nantes ? L’enquête réalisée avec les étudiants de l’Université de Nantes en 2019 et 2020 nous permet-elle d’établir une relation entre inégalités sociales et environnements sonores ?

Des corrélations entre inégalités socioéconomiques et environnements sonores

1Le croisement entre les données sonores recueillies par les étudiants sur une petite partie de l’agglomération nantaise et les données socioéconomiques de l’INSEE vient confirmer le constat d’un lien statistique entre situation sociale défavorisée et nuisances environnementales (figure 1). L’augmentation du revenu moyen par habitant est en effet corrélée significativement à une diminution des niveaux de bruit et à une augmentation de la perception des environnements sonores comme agréables, calmes et dominés par les bruits d’oiseaux. À l’inverse, une forte proportion de ménages pauvres, par ailleurs plutôt jeunes et vivant dans des quartiers d’habitat collectif, réside dans des ’environnements sonores perçus comme plus bruyants, plus mouvementés et plus marqués par les bruits du trafic routier et ferroviaire (tram et train). Les corrélations sont toutefois faibles et des analyses plus localisées viennent nuancer ces premiers résultats.

Figure 1 - Corrélations entre données sonores et profils sociaux des points d’écoute

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Un coefficient de corrélation mesure la force de la relation statistique entre 2 variables. Quand il est proche de 0, il n'y a pas de relation entre les variables. Plus le coefficient se rapproche de 1 (teintes en bleu) ou -1 (teintes en rouge), plus la relation entre les 2 variables est intense. On observe par exemple une relation positive entre la variable "bruyant" et la variable "mouvementé" (plus il y a de bruit, plus le point d'écoute est perçu comme mouvementé). A l'inverse, il existe une relation négative entre la variable "bruyant" et la variable "agréable" (plus il y a de bruit, moins le point d'écoute est jugé agréable).

Des quartiers aux profils socio-sonores différenciés

2Le croisement entre une variable sonore, ici le niveau sonore L90, que l’on peut assimiler au bruit de fond, et un indicateur social, le niveau de vie moyen des individus, fait apparaître différents profils de quartiers (figure 2). Nous nous intéressons ici à deux exemples significatifs, sachant que nous avons retenu la variable « somme des niveaux de vie windsorisés des individus », que nous avons rapporté au nombre d’individus par carreau de manière à obtenir une moyenne, qui est ensuite appliquée aux points d’écoute sonores présents dans chaque carreau

Figure 2 - Profils socio-sonores des points d’écoute

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3La carte permet tout d’abord d’identifier des situations centrales et péricentrales marquées à la fois par des revenus et des niveaux sonores relativement élevés. Les quartiers Decré, Saint-Clément et Saint-Donatien correspondent nettement à ce profil. Si la centralité y est un facteur de nuisances sonores (grands axes routiers et circulations automobiles denses, présence du tramway, concentration des travaux publics, forte fréquentation piétonne), celles-ci ne semblent donc pas remettre en cause le caractère bourgeois de ces quartiers, qui n’a fait que se renforcer. En situation péricentrale, le centre et l’Est de l’île de Nantes sont plus populaires, héritage du passé ouvrier de l’île et de la construction de logements sociaux, mais tout aussi bruyants, particulièrement en raison des grandes axes routiers qui traversent ce point de passage obligé entre le nord et le sud de la Loire.

4En périphérie, les quartiers de Berthelotière (Orvault) et Chêne des Anglais conjuguent plus nettement caractéristiques sociales et sonores. À l’Ouest de la route de Rennes, le quartier d’habitat pavillonnaire aisé de Berthelotière présente des niveaux de bruit faibles à moyens, à l’exception des points situés sur ou à proximité des axes routiers qui longent le quartier au Nord et à l’Est. En bordure du Cens, il présente ainsi des caractéristiques tout à fait comparables à d’autres trames vertes et bleues qui traversent la ville (Erdre, Sèvre). Le quartier d’habitat collectif du Chêne des Anglais, parmi les plus populaires de Nantes, présente quant à lui un profil globalement plus bruyant. Il est cependant assez hétérogène, les niveaux sonores variant fortement entre le cœur des îlots résidentiels, les axes routiers qui traversent le quartier et le parc de l’Amande qui le borde au Nord.

Les grands ensembles créent des îlots de calme à proximité des axes routiers

5Les observations réalisées par les étudiants viennent confirmer l’importance d’analyser les environnements sonores à des échelles très fines, mais aussi de coupler mesure des niveaux sonores et données perceptives. Ainsi, les quelques points d’écoutes situés en cœur d’îlots dans les quartiers de grands ensembles sont évalués très positivement. Comme le montre la figure 3 réalisée dans le quartier Chêne des Anglais, les barres d’immeubles créent un effet-barrière qui isole les espaces intérieurs du bruit du tramway et des axes routiers limitrophes. Associés à l’aménagement de ces cours en espaces verts, elles créent des îlots de verdure relativement calmes, où le son du vent dans les arbres, les chants d’oiseaux, les conversations sont audibles malgré le bruit de fond de la circulation.

Figure 3 - Ambiance sonore au cœur d’un grand ensemble du quartier Chêne des Anglais : l’insertion de la nature dans la ville

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« Une tour. Deux tours. Trois Tours. Quatre tours.

Difficile à croire, mais au milieu de ces grands ensembles, la nature règne et prospère.
Si prenante, elle parvient à camoufler les bruits de la route, pourtant si proches. Les oiseaux n'ont jamais été si bien entendus. Le vent souffle fort entre ces herbes et pissenlits. Par conséquent, le froissement des feuilles se fait sentir.

Une certaine cour intérieure s'installe, en arc de cercle, décrivant des limites de bâtiments. (...) Au centre, des bruits lointains, inlocalisables, indescriptibles même, sont audibles. Cet effet permet, entre autres, de se rappeler que dans ce paradis sonore, les sons extérieurs, propres à la ville, sont tout de même perceptibles ».

6Ces premiers résultats montrent donc bien l’importance de tenir compte des données sonores dans l’analyse des inégalités, tout en insistant sur la nécessité de faire varier les échelles spatiales, mais aussi de ne pas négliger les qualités environnementales de certains quartiers populaires.

Pour citer ce document

Christèle Allès, Pierre Aumond, Arnaud Can et Claire Guiu, 2023 : « Paysages sonores (2/2). Inégalités sociales et environnements sonores », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 10/10/2023, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=933, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.933.

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Bibliographie

Bocquier A. et al., « Bruit routier et statut socio-économique : étude des inégalités environnementales à un niveau géographique fin au sein de la commune de Marseille », Environnement, Risques & Santé, 2011, vol.  10, n° 3, p. 225-229. DOI : 10.1684/ers.2011.0454

Deldrève V., Pour une sociologie des inégalités environnementales, Lausanne, P.I.E. Peter Lang, 2015.

Emelianoff C., « La fabrique territoriale des inégalités environnementales », Larrère C. (dir.), Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017, p. 73-93.

Havard S. et al., « Social inequalities in residential exposure to road traffic noise: an environmental justice analysis based on the RECORD Cohort Study », Occup Environ Med., 2011, vol.  68, n° 5, p. 366-374.

Index géographique

  • Chêne des Anglais (quartier)
  • Decré (quartier)
  • Saint-Clément (quartier)
  • Saint-Donatien (quartier)
  • Berthelotière (quartier)

Christèle Allès

Professeure agrégée et chercheuse en Géographie, Nantes Université – IGARUN, UMR 6590 Espaces et Sociétés (ESO)

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Pierre Aumond

Chercheur en acoustique environnementale, Université Gustave Eiffel, Unité Mixte de Recherche en Acoustique Environnementale (UMRAE)

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Résumé

Très étudiée dans le domaine de la pollution de l’air, la question des inégalités environnementales a encore fait l’objet de peu d’études concernant les nuisances sonores. Les recherches menées en Amérique du Nord et en Europe occidentale aux niveaux de bruit les plus élevés. Des variations sont toutefois observées en fonction des contextes urbains. Qu’en est-il sur Nantes ? L’enquête réalisée avec les étudiants de l’Université de Nantes en 2019 et 2020 nous permet-elle d’établir une relation entre inégalités sociales et environnements sonores ?

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