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En septembre 2023, la ville de Saint-Sébastien-sur-Loire et ses habitant.es ont été exposé.es à une vague de moustiques faisant pendant plusieurs jours les titres des journaux locaux. Amenés à se développer plus vite et plus longtemps avec la hausse des températures, ces moustiques (des diptères hématophages, dont le célèbre moustique tigre) préoccupent les autorités sanitaires autant que les habitant.es confronté.es à leur prolifération saisonnière. Quelle est la portée écologique et sociale du phénomène dans l’espace nantais, et plus particulièrement dans la zone du bas Chantenay, proche des bords de Loire ?
Un nouveau type de vulnérabilité dans la métropole de Nantes
1Le moustique tigre est arrivé en France métropolitaine en 2004 puis en Loire-Atlantique en 2019 (figure 1). L’animal étant vecteur de plusieurs maladies transmises à l’humain, il fait l’objet d’une surveillance attentive par les agences régionales de santé (figure 2), et on estime aujourd’hui qu’il pourrait avoir étendu son territoire sur toute l’Europe d’ici à 2030.
Figure 1 - Un territoire touché tardivement
Figure 2 - Un protocole d’action
Une vulnérabilité liée au changement climatique
2Cette extension de l’aire de diffusion aux latitudes tempérées des moustiques est favorisée par le changement climatique. Par ailleurs, la matérialité et la morphologie de certains quartiers, ainsi que la présence d’îlots de chaleur urbains (ICU), peuvent fournir en hiver un environnement qui permet aux moustiques d’éviter de se mettre en diapause continue (période pendant laquelle la femelle ralentit son organisme pour passer une saison défavorable). Le comportement et la prolifération de ces insectes est, en somme, très dépendant de facteurs météorologiques catalysés par l’environnement urbain et sa propension à capter la chaleur.
3Localement, la présence du Lac de Grand Lieu à quelques kilomètres au sud-ouest de Nantes peut constituer un point de départ pour les moustiques. En effet, la réserve est l’une des plus grandes zones humides classées Natura 2000 de Loire-Atlantique. Elle héberge de nombreuses espèces de moustiques et notamment du sous-genre Aedes auquel appartient le moustique tigre. On peut d’ailleurs y observer de spectaculaires manifestations de plancton aérien en été. Les changements climatiques en cours réinscrivent donc Nantes dans un plus vaste territoire, vivant, qui expose la ville à de nouveaux types de vulnérabilités écologiques. L’intensité vécue du phénomène varie cependant beaucoup dans l’espace nantais.
Une exposition inégale aux nuisances de l’animal
Figure 3 - Zone industrielle de Chantenay en bord de Loire depuis le navibus
Dessin : Etienne Vrignaud
4La zone industrielle de Chantenay constitue l’une des plus « chaudes » et les plus artificialisées de la ville, alors que sa proximité avec la Loire l’expose déjà à des nuées saisonnières de moustiques (figure 3). Afin de documenter la portée sociale des nuisances causées par l’animal, une série d’excursions et d’entretiens a été menée entre septembre et décembre 2023 auprès des usagers et habitants. Le quartier est peu densément peuplé, bien que des zones d’habitats informels (caravanes et camps) se trouvent sur place depuis 2012. Par ailleurs, la mairie de Nantes a lancé depuis 2018 plusieurs projets de réaménagement, comme la brasserie Little Atlantique Brewery et le Jardin Extraordinaire. Au cours de ces échanges sur le terrain, il ressort que les personnes les plus touchées par les nuisances des moustiques sont celles qui sont sur site le soir. Ce constat questionne la surexposition des habitants de bidonvilles et des travailleurs de la restauration aux piqûres, bien plus fréquentes pour eux du fait du rythme nycthéméral (cycle biologique comprenant un jour et une nuit) des femelles du genre Culex et Aedes, actives aux levers et couchers de soleil. Plusieurs enquêtés mentionnent d’ailleurs l’impact des moustiques sur leur activité, rendue moins attractive ou plus pénible à cause des piqûres (LAB, compagnie À main levée, port à sec, compagnie Royal Deluxe, crèche). Pour les personnes qui habitent les bidonvilles du site, il existe peu de stratégies de défense collective, ces derniers devant déjà faire face à la précarité et l’irrégularité de leur situation.
Figure 4 - Différents facteurs aggravant l’exposition du site à des nuées saisonnières
5Le site de Chantenay se trouve à la croisée des problématiques propres au moustique à Nantes, en cumulant trois propriétés défavorables (figure 4) : il est situé en basse altitude à l’ouest de la ville et donc face aux vents dominants d’été ; il est en proximité directe avec la Loire ; il constitue l’un des plus importants îlots de chaleur à Nantes. Les moustiques arrivant de l’aval de la Loire sont ainsi captés par cet espace où se concentrent les sites de pontes. Les activités exercées jouent également en faveur de la prolifération de diptères (insectes à deux ailes favorisée par les petites stagnations d’eau dans lesquelles se développent les larves), avec une prédominance d’entreprises de logistique et d’artisanat, nécessitant l’entrepôt d’objets et de bâches en extérieur. Les vagues de moustiques comme celle vécue en septembre 2023 y sont donc plus intenses et plus soudaines que dans le reste de la ville, qui y est moins frontalement exposé. Les friches industrielles, en dernier lieu, permettent aux moustiques de se développer dans des bâtiments abandonnés dans lesquels l’eau ne s’évacue plus. La vulnérabilité des habitant.es et travailleurs.euses du site face à l’animal n’est pas seulement socio-écologique. Si un cas d’arbovirose (maladies transmises par les arthropodes, dont la dengue, le chikungunya ou la fièvre jaune) était signalé dans le quartier, l’ARS ne pourrait pas procéder à une démoustication du fait de la proximité de la Loire. L’ultime recours de la quarantaine pour contenir une potentielle épidémie dans le quartier serait d’ailleurs inefficace, en raison de la perméabilité de ces logements informels à la microfaune extérieure.
6Répondre efficacement aux problématiques du moustique à Nantes exige donc de prendre en compte cette nouvelle forme d’inégalité face aux phénomènes écologiques. On observe ainsi qu’au regard des données comparées pour cette enquête, dans le cas de la métropole nantaise, la lutte antivectorielle doit être pensée avec la lutte contre le mal-logement et celle contre les îlots de chaleur urbains.
Pour citer ce document
Etienne Vrignaud, 2024 : « Moustiques et vulnérabilités sociales dans le bas Chantenay », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 13/11/2024, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=1028, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.1028.
Autres planches in : Accéder aux services et environnements urbains
Bibliographie
Cailly P., Modélisation de la dynamique spatio-temporelle d’une population de moustiques, sources de nuisances et vecteurs d’agents pathogènes, École Nationale Vétérinaire Agroalimentaire et de l’Alimentation Nantes Atlantique, 2011. https://theses.hal.science/tel-00766348
Chouin S., Fortin N., Guerin P., Hubert B., « Pics de nuisances provoqués par les piqûres de moustique à Nantes, 1995-2013. Influence des facteurs météorologiques », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 21‑22, 2014, p. 380‑385.
Daudé É., Vaguet A., Cebeillac A., Misslin R., Huraux T., « Modélisation de l’impact des îlots de chaleur urbains sur les dynamiques de population d’Aedes aegypti, vecteur de la dengue et du virus Zika », Spatial Analysis and GEOmatics 2017, INSA de Rouen, 2017. https://hal.science/hal-01649157
Maneerat S., Daudé É., « Étude par simulation à base d’agents des effets des discontinuités intra-urbaines à Delhi sur la dispersion des moustiques Aedes aegypti, vecteurs de la dengue, de la fièvre jaune, du chikungunya et du virus Zika », Cybergeo, n° 819, 2017. doi.org/10.4000/cybergeo.28078
Mots-clefs
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- Moustiques et vulnérabilités sociales dans le bas Chantenay
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Résumé
En septembre 2023, la ville de Saint-Sébastien-sur-Loire et ses habitant.es ont été exposé.es à une vague de moustiques faisant pendant plusieurs jours les titres des journaux locaux. Amenés à se développer plus vite et plus longtemps avec la hausse des températures, ces moustiques (des diptères hématophages, dont le célèbre moustique tigre) préoccupent les autorités sanitaires autant que les habitant.es confronté.es à leur prolifération saisonnière. Quelle est la portée écologique et sociale du phénomène dans l’espace nantais, et plus particulièrement dans la zone du bas Chantenay, proche des bords de Loire ?
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