Quel « manger local » quand on s’approvisionne dans une AMAP nantaise ?
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AMAP ou Association pour le maintien d’une agriculture paysanne… Cet acronyme s’est progressivement ancré dans le paysage de l’alimentation locale en France. Le mouvement, qui fête ses 20 ans en 2021 avec près de 3 000 structures à l’échelle nationale, est particulièrement présent dans l’aire urbaine de Nantes. Soutien solidaire et collectif de « consom’acteurs » à des producteurs paysans via l’achat de paniers de produits de qualité, en quoi les AMAP nantaises sont-elles garantes d’un « manger local » ?
Des AMAP concentrées au cœur de la métropole
1L’aire urbaine de Nantes compte une centaine d’AMAP, celle des Sorinières enclenchant la dynamique en 2004 (figure 1). Plusieurs vagues de création se succèdent et viennent étoffer le réseau, en particulier entre 2009 et 2012 (46 créations), tant dans le périmètre de Nantes Métropole (72 AMAP) que dans les campagnes alentour (31). À ce titre, la ville-centre de Nantes en regroupe près de la moitié (43), comme dans d’autres agglomérations (Paris, Toulouse, Marseille). On compte ainsi environ 1 AMAP pour 10 000 habitants dans l’aire urbaine, soit une forte densité par rapport à Paris ou Marseille, à relier localement au poids historique du monde paysan ou à la morphologie sociale favorable. Récemment, en lien avec la crise du Covid, se sont pérennisés près de dix points de distribution au départ éphémères. À titre d’exemple, l’AMAP des Petits-Pieds (encadré 1) a été réactivée en 2019 sur le campus Tertre de l’Université de Nantes, afin d’offrir des légumes de qualité à prix réduit aux étudiants. Les temps de distribution contribuent d’ailleurs à animer une diversité de lieux (cafés, hall d’entreprises, fermes, etc.), notamment des cours d’école, comme l’illustre l’AMAP Orrion-Loquidy dans le péricentre nantais (encadré 2).
Figure 1 - Des AMAP principalement concentrées au coeur de la métropole
Encadré 1 - l’AMAP des Petits-Pieds
Des étudiants attachés à l’AMAP sur le Campus Tertre
Sur le campus Tertre de l’Université de Nantes existe depuis plus de huit ans une AMAP. Créée par un petit groupe de pionniers, elle est portée par l’association des Petits-Pieds depuis 2019. Elle permet à de nombreux étudiants d’obtenir, toutes les deux semaines, un panier de fruits et légumes variés, de saison, et bios, pour la somme de 7 €, un prix stable depuis plusieurs années. Une offre locale de surcroît puisque l’exploitation des Jardins de Pimba, d’où viennent les denrées (fruits et légumes), est située à Oudon. Des œufs sont également disponibles, la boîte de six étant proposée à 2,10 € depuis cette rentrée.
Laurent et Olivier, les maraîchers des Jardins de Pimba, ont su adapter leurs démarches (nombre de paniers, heure des livraisons…) aux besoins des étudiants. Bienveillante et à l’écoute, chacune de leur distribution au Pôle étudiant ou au Théâtre Universitaire est un moment d’échanges avec des conseils culinaires de la part des deux hommes.
https://www.amap44.org/item/amap-campus-tertre/?cn-reloaded=1
Des producteurs très dispersés, en deuxième couronne ou au-delà de l’aire urbaine
2Qui dit AMAP dit local et bio dans l’esprit des consommateurs. Près de 80 % des paysans engagés sont ainsi en agriculture biologique, mais la définition du local se pose. Globalement, 60 % ont leur siège d’exploitation dans l’aire urbaine, avec une distance au centre de Nantes généralement de l’ordre de 25-30 km (figure 2). En raison de disponibilités foncières ou de la présence de producteurs, plus les AMAP se situent à proximité du centre, plus elles font appel à des paysans parfois géographiquement éloignés (hors métropole), et inversement. Ainsi, 28 producteurs fournissent l’AMAP de leur propre commune (périurbaine ou rurale). Une trentaine d’AMAP sont aussi en lien avec une coopérative corse pour les agrumes, dont celle de Treillières qui travaille avec 34 livreurs différents. La spécificité des produits peut expliquer cette distance : café ou champignon bretons, poissons de l’île d’Yeu… En miroir, 143 producteurs approvisionnent en moyenne plus de dix AMAP, souvent pour gérer plus efficacement leurs déplacements.
Figure 2 - Des producteurs très dispersés dans la deuxième couronne et même au-delà de l’aire urbaine
L’affirmation d’une ceinture alimentaire territoriale, fondée sur des liens socio-spatiaux ?
3La proximité géographique conforte la ceinture maraîchère nantaise, les légumes (carottes, tomates, choux, salades, etc.) restant les produits de base de tout panier (un tiers des AMAP ne propose que ce type de produits). Pour autant et plus largement, on peut employer le terme de « ceinture alimentaire » au regard de la diversité des denrées fournies (figure 2). Aux fruits ou au vin en termes de production végétale, s’ajoutent souvent du pain ou des produits animaux (viandes, produits laitiers, œufs...), voire d’autres denrées (farine, miel, bières, pâtes...).
4Par ailleurs, l’objectif originel des AMAP est de permettre à de petits agriculteurs de vivre correctement de leur travail, que ce soient des néo-paysans motivés par un nouveau projet de vie, ou des producteurs déjà installés et convaincus d’y trouver une alternative donnant sens à leur métier. Se réclamant de l’économie solidaire, les AMAP militent pour tisser de nouveaux rapports sociaux (voire politiques) entre ce monde agricole de proximité et des « consom’acteurs », plutôt jeunes, bien dotés en diplômes scolaires, et sensibilisés aux enjeux environnementaux, ce qui n’écarte pas pour autant les populations plus populaires.
5Le système AMAP ne se borne donc pas à de simples relations centre-périphérie, entre des mangeurs urbains et des producteurs ruraux. Cette démarche met bien le local « dans tous ses états », tant son acception demeure variée, selon les produits (légumes péri-urbains, viandes départementales, etc.), les acteurs (parcelle agricole, lieu de livraison), voire leur perception (lieu d’interconnaissance pour les amapiens, mise en réseau de ces lieux pour les producteurs). En écho à certaines analyses, nombre d’AMAP de la région nantaise proposent un manger local plutôt « agri-urbain ». Au-delà d’une seule proximité géographique aux lieux de distribution, ce manger local se caractérise par une forte proximité relationnelle et politique entre agriculteurs et mangeurs, tous dotés de forts capitaux sociaux et culturels.
6Ainsi, sans réduire les questions de localisme alimentaire « alternatif » à un problème spatial et scalaire, les AMAP nantaises gagneraient à se convertir à un localisme plus inclusif socialement, et plus « réflexif » politiquement comme le mettent en avant Ripoll ou Paddeu. Ce qui suppose une participation plus accrue des familles populaires, et un soutien plus prononcé des élus.
Encadré 2 - L’AMAP d’Orrion-Loquidy
Une Amap familiale de quartier, représentative des liens socio-spatiaux alimentaires
Créée en mai 2014 afin de redynamiser ce quartier nord du péricentre nantais, l’AMAP Orrion-Loquidy organise, tous les jeudis soir de l’année, des distributions des paniers et autres colis de produits bios et locaux, dans la cour de l’école Charles Lebourg. L’association y propose une petite dizaine de contrats émanant de plusieurs producteurs : maraîchers, arboriculteur, éleveurs (bovin, porcin et volailles), pêcheurs, artisans-transformateurs… (figure 3). Une large majorité d’entre eux reste implantée dans l’aire urbaine, ou dans sa toute proche périphérie.
Figure 3 - L’AMAP Orrion-Loquidy : un réseau de producteurs étendu et diversifié
Côté mangeurs, en dépit du turnover classique dans ce dispositif, ce sont entre 50 et 60 adhérents qui consomment, à l’exception des légumes (fréquence hebdomadaire), des colis d’aliments diversifiés et de fréquence plutôt mensuelle (fruits, poissons) et/ou trimestrielle (viandes, confitures, tisanes...). Quasiment tous les amapien.ne.s (toutes catégories d’âges confondues, entre 30 et 70 ans) résident dans le quartier, à moins de dix minutes à pied du lieu de distribution.
https://www.orrionloquidy.com/amap
Pour citer ce document
Julien Noël, Sécou Omar Diédhiou et Christine Margetic, 2021 : « Quel « manger local » quand on s’approvisionne dans une AMAP nantaise ? », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 10/12/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=679, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.679.
Autres planches in : Accéder aux services et environnements urbains
Bibliographie
Guiraud N., « Le retour des ceintures maraîchères ? Une étude de la proximité géographique des AMAP en Bouches-du-Rhône (2006-2015) », Géocarrefour, vol. 3, n° 93, 2019. DOI : 10.4000/geocarrefour.13873.
Mainguet S., Maldelar L., Patard T., Poisson E., Remerand M., « Les AMAP, une alternative pour nourrir la ville », Nantes, IGARUN, travail d’enquêtes L2, 2016.
Doiezie M., « Alimentation bio, locale et de saison à Nantes : la nouvelle lutte des classes ? », Mediacités, 14 oct. 2021. URL : https://www.mediacites.fr/evenements/national/2021/11/ 23/huit-mois-denquetes-sur-lalimentation-une-emission-pour-dresser-le-bilan/
Mundler P., « Les Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne en Rhône-Alpes, entre marché et solidarité », Ruralia, n° 20, 2007, p. 185-215. URL: http://ruralia.revues.org/document1702.html .
Paddeu F., « Manger local. Leurres et promesses », Vacarme, vol. 4, n° 81, p. 40-45. DOI : 10.3917/vaca.081.0040.
Poulot M., « Histoires d’AMAP franciliennes : quand manger met le local dans tous ses états ». Territoire en Mouvement, n° 22, 2014, p. 40-53. DOI : 10.4000/tem.2388
Pouzenc M., « Portrait des circuits courts 2001-2018 en Midi-Pyrénées », Toulouse, UMR LISST, rapport de recherche, 2019. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01980965v2.
Ripoll F., « Forces et faiblesses des Amaps et dispositifs apparentés », B. Frère, M. Jacquemain, (dir.), Résister au quotidien ? Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 161-188.
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Résumé
AMAP ou Association pour le maintien d’une agriculture paysanne… Cet acronyme s’est progressivement ancré dans le paysage de l’alimentation locale en France. Le mouvement, qui fête ses 20 ans en 2021 avec près de 3 000 structures à l’échelle nationale, est particulièrement présent dans l’aire urbaine de Nantes. Soutien solidaire et collectif de « consom’acteurs » à des producteurs paysans via l’achat de paniers de produits de qualité, en quoi les AMAP nantaises sont-elles garantes d’un « manger local » ?
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