Paysages sonores (1/2). Identifier les paysages sonores nantais
par Christèle Allès, Pierre Aumond, Arnaud Can et Claire Guiu
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Comment sonne Nantes ? Bruits routiers, échos, rumeur urbaine, exclamations d’enfants, cris de marchés, musiques de commerces, clameurs de manifestations, chants d’oiseaux s’agencent en différentes configurations. Que nous disent ces sonorités urbaines sur les qualités, formes urbaines, fonctions et usages des espaces dans les différents quartiers nantais ? Il s’agit ici de prêter l’oreille, d’écouter la ville, à travers ses tonalités de fond, les sources, les niveaux sonores et leurs perceptions. Se dessine alors une géographie urbaine en mouvement, à de multiples échelles.
Un dispositif de pédagogie-recherche pour écouter la ville de Nantes
1Les recherches sur l’analyse et la caractérisation des environnements sonores relèvent généralement de deux approches et échelles distinctes. D’un côté, des cartes de bruit sont produites par modélisation à l’échelle des agglomérations, dans une perspective d’application des réglementations européennes et d’aménagement du territoire à partir de critères objectivables. De l’autre, des initiatives en sciences sociales abordent l’environnement sonore par les perceptions, les notions d’« ambiances » et de « paysages sonores », conduisant à divers projets d’aménagements d’espaces publics, de promenades urbaines, de cartographies sensibles et de portraits sonores de ville.
2Avec l’ambition de dépasser cette dichotomie, un travail de pédagogie-recherche a mobilisé 200 étudiants géographes de l’Université de Nantes sur un atelier de terrain d’une semaine, en 2019 puis 2020. En raison de ce temps contraint, le terrain a été limité au tiers Nord-Nord-Est de la ville de Nantes, et les 800 points d’écoute répartis du centre de la commune à son immédiate périphérie. Les étudiants ont effectué des mesures sonores grâce à NoiseCapture, un outil collaboratif en libre accès conçu par l’Université Gustave Eiffel en partenariat avec le CNRS. Il permet à toute personne disposant d’un smartphone de faire des mesures sonores géoréférencées. De plus, pour chaque point de mesure, les étudiants ont renseigné une fiche comprenant des descriptions des paysages sonores et des formes urbaines par le croquis et l’écriture, ainsi qu’une grille d’observation destinée à récolter des données perceptives (identification des sources et de leur intensité, appréciation de l’environnement sonore), de manière à constituer une écoute systématique du territoire étudié.
Quelques éléments de caractérisation
3La figure 1 propose une cartographie interactive des données collectées, incluant les niveaux de bruit, les sources sonores (oiseaux, travaux, voix, voitures, évaluées par temps de présence) et des données perceptives de qualification. Les niveaux de bruit sont généralement mesurés à l’aide de deux indicateurs principaux : le LAeq, indicateur acoustique le plus connu, correspond au niveau sonore moyen sur une période déterminée ; le LA90, souvent utilisé pour caractériser le bruit de fond, est le niveau dépassé pendant 90 % du temps sur la période considérée.
Figure 1 - Sonorités urbaines de Nantes : mesures et ressentis
https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/32d1c113-ac7d-11ed-ba63-655e2d858b8d/4Au sein de cette cartographie interactive, les cartes des niveaux de bruit et des sources sonores rendent compte de différentes dynamiques. On constate tout d’abord un gradient centre-périphérie du bruit. Assurément, l’hypercentre et l’île de Nantes se détachent comme les espaces les plus bruyants, dépassant notamment 80 dB et présentant un bruit de fond important, principalement dû au bruit routier et de travaux. Signes sonores d’une ville qui se renouvelle sur elle-même, les sons de travaux se distinguent plus particulièrement sur l’île de Nantes mais aussi aux abords de la gare de Nantes et le long de la ligne 1 du tramway. Le bruit de fond (LA90) est également assez élevé le long des axes routiers, et notamment à proximité du périphérique.
5Les cartes mettent également en évidence la diminution des niveaux de bruit dans les espaces moins denses (zones pavillonnaires, parcs, etc.) sans qu’il soit néanmoins possible de dire si c’est le trafic routier ou bien les sources de bruit bio-phonique qui sont les sources de bruit principales dans ces lieux. La carte du temps de présence des oiseaux fait quant à elle ressortir les parcs et les trames vertes et bleues (Erdre, Cens, Sèvre). Des études montrent qu’à niveau sonore équivalent, les sources sonores associées à la naturalité (oiseaux, vent) ont un impact sur le ressenti de l’environnement sonore. Ces espaces sont en effet largement valorisés comme « agréables » dans les relevés des étudiants.
Des empreintes sonores contrastées
6À l’échelle de la ville, les enquêtes par entretiens sur les symboles ou « empreintes » sonores (soundmarks) dépeignent une ville en pleine mutation, marquée par le passage à une économie post-industrielle, la réorganisation et la densification de ses espaces centraux, l’essor des mobilités, ou encore la piétonisation du centre-ville. Ainsi, la sonnette du tramway (« quand je l’entends, je comprends que je suis à Nantes »), le bruit de travaux et le barrissement de l’éléphant apparaissent comme les trois éléments les plus fréquemment cités pour singulariser la ville dans son ensemble. Le bruit des avions ou des hélicoptères, les ambiances de rues piétonnes, les claps de skateurs, les sirènes ou les sonnettes de vélos sont évoqués de façon fréquente pour caractériser la ville-centre et l’île de Nantes. La composition sonore ci-dessous (figure 2), en reproduisant un cheminement sensible sur la partie ouest de l’île de Nantes, illustre bien les combinaisons entre ambiances sonores liées au renouvellement urbain, à la vie quotidienne et aux conditions acoustiques d’un milieu fluvial et insulaire.
https://asmn.univ-nantes.fr/html/CAlles_v2.mp4Pour citer ce document
Christèle Allès, Pierre Aumond, Arnaud Can et Claire Guiu, 2023 : « Paysages sonores (1/2). Identifier les paysages sonores nantais », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 09/10/2023, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=924, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.924.
Autres planches in : Accéder aux services et environnements urbains
Bibliographie
Augoyard J-F., Pas à pas. Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain, Paris, Éditions du Seuil, 1979.
Guiu C., Faburel F., Mervant-Roux M.-M., Torgue H., Woloszyn P., Soundspaces : Espaces, expériences et politiques du sonores, Rennes, PUR, 2015.
Léobon A., « La qualification des ambiances sonores urbaines », Natures, Sciences, Sociétés, 1995, vol. 3, n° 1, p. 26-41.
Mots-clefs
- bruit
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Résumé
Comment sonne Nantes ? Bruits routiers, échos, rumeur urbaine, exclamations d’enfants, cris de marchés, musiques de commerces, clameurs de manifestations, chants d’oiseaux s’agencent en différentes configurations. Que nous disent ces sonorités urbaines sur les qualités, formes urbaines, fonctions et usages des espaces dans les différents quartiers nantais ? Il s’agit ici de prêter l’oreille, d’écouter la ville, à travers ses tonalités de fond, les sources, les niveaux sonores et leurs perceptions. Se dessine alors une géographie urbaine en mouvement, à de multiples échelles.
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