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À Nantes, l’hospitalité demeure un enjeu politique de longue date, en témoigne la devise de la ville « Neptune favorise ceux qui voyagent ». Suite à l’élection de J.-M. Ayrault en 1989, l’accueil des étrangers devient un des rouages de la politique d’attractivité de la ville (rénovation mémorielle du passé négrier et promotion d’une ville ouverte sur le monde). Au-delà de l’image d’une ville hospitalière et cosmopolite, les mobilisations sociales pour la cause des étrangers, mais aussi autour de la mémoire coloniale de la ville, façonnent une hospitalité à la nantaise, débordant parfois cette politique municipale volontariste.
1 Entre 1989 et 2012, la part des étrangers dans la population de la commune de Nantes connaît une légère augmentation, passant de 3,9 % à 6,2 %, même si la ville s’inscrit dans une France de l’Ouest où la part des étrangers reste faible (figure 1). Avec l’affermissement progressif des politiques migratoires depuis les lois Pasqua (1986 et 1993), le profil de « l’étranger » se transforme et la figure du travailleur immigré est remplacée par celle du « sans-papier » indigent, déplaçant la question sociale du monde du travail à l’espace de la ville. Alors que pour la population nantaise la problématique du logement prend une ampleur croissante au cours de cette période, les conditions d’accueil des étrangers reposent en partie sur un tissu d’organisations (syndicat, association, collectif) d’horizons politiques variés (social-chrétien, altermondialiste, libertaire) avec leurs objectifs propres (alphabétisation, aide juridique ou sociale, soutien d’une cause politique), ce qui entraine des liens de coopération mais aussi de conflits entre ces organisations et les pouvoirs locaux.
Figure 1 - Des étrangers peu présents dans les villes de la France de l'Ouest
« Français, étrangers : tous nantais ! »
2 Élu en 1989 maire de Nantes, J.-M. Ayrault conduit une politique d’attractivité pour dynamiser l’économie de la ville. À côté de la culture, la question des étrangers devient un des enjeux de construction de la ville attractive et cosmopolite. Entre 1989 et 2012, le récit d’une ville hospitalière est construit en mettant en scènes certains symboles forts sur des lieux de mémoires en cours d’aménagement : le Hangar à banane (qui servait à faire mûrir les bananes et devient un espace récréatif avec les Anneaux de Buren ), le désormais célèbre grand éléphant (en écho à celui exhibé aux nantais en 1698) et le Mémorial de l’abolition de l’esclavage. Au-delà de cette politique mémorielle, un élu municipal est chargé dès 1989 de la question de l’intégration des étrangers à Nantes. La ville avance la devise « français, étrangers : tous nantais » (figure 2).
Figure 2 - Communication municipale sur l’accueil des étrangers à Nantes en 2009
© Mairie de Nantes, 2009.
3 La ville célèbre alors la mémoire des nantais « venus d’ailleurs » en soutenant la création d’associations d’« entrepreneurs de mémoire » (Centre Interculturel de Documentation, Mémoires d’Outre-Mer). À contre-pied de l’ancien maire Michel Chauty , la nouvelle municipalité entend ainsi reconstruire « une identité Nantaise forte et harmonieuse » selon les termes d’un document-programme intitulé « La leçon posthume des négriers nantais » et conçu en vue des élections municipales de 1989. Ces commémorations autour de l’esclavage génèrent toutefois des dissensions entre la ville et des associations afro-caribéennes.
4 Alors que la question des étrangers apparait avec vigueur dans les débats publics à partir des années 1990, la municipalité mène une politique volontariste favorisant les réseaux associatifs, souvent sous son patronage (Maison des Citoyens du Monde en 1995). Au même moment, elle accompagne le développement d’associations et les dote des de locaux. La ville crée le Conseil Nantais pour la Citoyenneté des Étrangers en 2003 ainsi qu’un secrétariat permanent aux droits de l’homme en 2007. En outre, elle met en lumière l’histoire des luttes nantaises pour les étrangers. En 2011, le Château accueille l’exposition Nantais venus d’ailleurs , avec le concours de six associations et collectifs d’appui aux étrangers. Enfin, entre 1989 et 2012, des élus municipaux, notamment communistes ou écologistes, soutiennent les mobilisations contre les expulsions de familles dont les enfants sont scolarisés.
Construire l’hospitalité à la nantaise dans les interstices de la ville attractive
5 Néanmoins, cette politique volontariste peine à dissimuler les tensions entre associations et la collectivité sur la question de l’accueil des étrangers. En avril 1998, 70 membres du « Collectif de Sans-Papiers », soutenus par le « collectif de soutien aux sans-papiers » composé de 30 organisations, réclament une régularisation et occupent l’Église Ste Thérèse de Nantes. Face au silence de la mairie, en juin, la CGT appelle à occuper la Bourse du travail, propriété de la ville en partie vide depuis la création de la Maison des syndicats. Pendant deux ans, le bâtiment devient un lieu d’accueil informel face aux carences de l’hébergement des étrangers et la CGT propose d’en faire un centre d’accueil. En vain ! Les occupants seront expulsés en août 2001.
6 Au-delà de certaines mobilisations ponctuelles, les liens de certains acteurs de la cause des étrangers avec la municipalité entraînent de vifs débats. En 2004, une semaine après l’expulsion de la Maison des syndicats de trois familles déboutées, le maire J.-M. Ayrault est convié par la Maison des Citoyens du Monde à Cosmopolis dans le cadre des « Semaines de la Solidarité Internationale » pour ouvrir le débat : « Demandeurs d’Asile, une chance pour Nantes ». Dénonçant le double discours municipal, deux cents militants perturbent les festivités avec une banderole « La droite expulse, la gauche collabore ».
7Le 21 mars 2012, J.-M. Ayrault inaugure le mémorial de l’abolition de l’esclavage, parachevant son œuvre édilitaire avant de rejoindre Matignon. Signe de la fin d’un cycle, 2012 marque également un nouveau tournant dans la construction de la ville accueillante par les mouvements sociaux.
Pour citer ce document
Julien Long, 2021 : « La ville attractive et la place des étrangers à Nantes (1989-2012) », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 22/01/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=530, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.530.
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Bibliographie
Beaud S., « Histoire et mémoires des immigrations dans les Pays de la Loire », Hommes et Migrations , n° 1273, 2008, p. 110-122. DOI:10.3406/homig.2008.4735
Croix A. (dir.), Histoire populaire de Nantes , Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
Douillard -Lefevre P., Bourse du Travail et Salons Mauduit : reconversion d’un patrimoine syndical et festif à Nantes. Mutations métropolitaines , Université de Nantes, Mémoire de master recherche en Sociologie, 2017. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01692949
Masson P. (dir.), Sociologie de Nantes, Paris, La Découverte, 2013.
Teffahi R., « Les associations issues de l’immigration à Nantes : bilan d’une décennie », Hommes et Migrations , n° 1222, 1999, p. 54‑60. DOI:10.3406/homig.1999.3415
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