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La question des jeunes isolé.es étranger.es est devenue depuis 2014 un enjeu politique et social de premier plan en Loire-Atlantique. Territoire situé historiquement à l’écart des migrations juvéniles, il a connu une forte augmentation du nombre de ces mineur.es exilé.es au sein de ses effectifs de protection de l’enfance. Entre protection et rejet, ces jeunes se retrouvent pris.es en étau face à leur désir d’avenir et au morcellement de leur trajectoire institutionnelle.
1Depuis la fin du XXe siècle, les mineur.es non accompagné.es (MNA) incarnent une des figures d’enfants en danger, articulant les problématiques sociales de l’errance juvénile et des enfants en migration. Cette migration ancienne gagne en visibilité à mesure que se construit une catégorie spécifique dans le contexte d’octroi de droits internationaux aux enfants et d’affermissement des politiques migratoires. En 2013, la circulaire Taubira généralise à l’ensemble du territoire français un dispositif ad hoc - évaluation et répartition - expérimenté dans vingt départements autour de Paris depuis 2011. Dès lors, le nombre de ces MNA s’accroit parmi les migrations en France. Selon les chiffres du ministère de la justice et de l’Insee, on en comptait 2 555 sur 230 000 immigrés en 2013 et 16 760 sur 272 000 en 2019.
Une soudaine visibilité et un dispositif dédié aux jeunes isolé.es étranger.es en Loire-Atlantique
2Entre 2010 et 2020, le nombre de jeunes isolé.es étranger.es (mineurs et jeunes majeurs) pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est multiplié par 25 en Loire-Atlantique, passant de 34 à 877 (figure 1). Leur part au sein de l’effectif total de ce mécanisme d’aide passe de 0,7 % en 2010 à 15 % en 2020, éprouvant le dispositif dans un climat de conflits entre l’État et les départements au sujet de leurs compétences respectives pour la prise en charge de ces jeunes exilé.es. C’est notamment depuis 2014 que leur nombre augmente de manière continue et significative dans le département.
3Dans ce contexte, le Conseil départemental de Loire-Atlantique suspend l’accueil des jeunes étrangers au printemps 2015. La CIMADE porte alors un recours au Tribunal Administratif de Nantes qui condamne à douze reprises la collectivité. Au 1er octobre 2015, le départementdélègue le recueil provisoire d’urgence à l’association Saint Benoit Labre qui devient le guichet externalisé spécifique aux mineur.es étranger.es et isolé.es. Le nombre de sollicitations du service augmente progressivement pour atteindre 1 504 évaluations de minorité et d’isolement en 2017, dont 18 % sont confiées à un autre département et une part identique au département par tutelle. Parmi ces jeunes passés par le service d’évaluation 58 % sont déclarés majeurs ou en fugue. La grande majorité de ces jeunes non reconnus mineurs engage un recours auprès du juge des enfants pour obtenir une ordonnance de placement.
Figure 1 - Un besoin croissant de protection des jeunes isolé·e·s étranger·es depuis 2014 en Loire-Atlantique
4Si une minorité de ces jeunes migre pour cause de guerres ou de persécutions politiques, les motifs de départs sont principalement des ruptures biographiques - décès d’un parent ou violences intra-familiales - ainsi que l’aspiration à un avenir meilleur. En Loire-Atlantique, comme au niveau national, les trois principaux pays d’origine depuis 2014 sont la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Mali (figure 2). Néanmoins, certaines nationalités, notamment d’États du Maghreb, ne sont pas pris en compte dans ce décompte car ils échappent généralement aux mesures de protection. Ces jeunes connaissent en effet une grande mobilité et vivent d’activités informelles au sein de réseaux.
Figure 2 - Une majorité de mineur·es non accompagné·es pris en charge en Loire-Atlantique originaire d’Afrique de l’Ouest de 2015 à 2020
Vivre sur le territoire informel de l’attente : les MNA en recours, une nouvelle catégorie d’indésirable ?
5Le dispositif dédié aux MNA crée paradoxalement une nouvelle figure de l’errance juvénile : les mineurs non accompagnés en recours, appelés aussi mijeurs par les acteurs associatifs spécialisés. Pour les soutenir, de nombreuses associations et collectifs se mobilisent depuis 2015. À Nantes, une hospitalité informelle pour les jeunes non pris en charge se met en place, ce qui fragmente leur espace vécu déjà morcelé par leur trajectoire institutionnelle.
6Organisées au sein de collectifs (collectif MIE 2015 – 2017), ces associations mobilisent des actions assistancielles autour des premières nécessités et sensibilisent les nantais.e.s par des nombreuses actions – occupations des locaux, manifestations ou événements artistiques. S’ouvrent alors plusieurs squats pour héberger les jeunes en recours, et un réseau d’hébergeurs solidaires ainsi qu’une association d’aide alimentaire se créent. L’accès aux droits s’organise avec une permanence interassociative au Gasprom à proximité de Médecins du Monde, qui soutient l’accès à la santé. Au regard des projets migratoires mais également des normes administratives se créent des écoles populaires dans différents lieux de la ville (Hors les Murs, B17, JEM). D’autres associations contournent le refus de scolarisation du rectorat en inscrivant les jeunes en recours dans des formations principalement dans le privé – particulièrement dans l’enseignement catholique – grâce aux nombreux dons et actions solidaires.
Figure 3 - Le territoire informel de l’attente des Mijeurs comme espace vécu morcelé
7En 2014, la soudaineté de la montée en charge des mineur.es non accompagné.es en Loire-Atlantique entraine un effacement éducatif et crée une nouvelle figure de l’errance juvénile. Ces jeunes à la marge de la cité vivent sur un espace vécu éclaté entre les différents guichets et lieux d’activités dans l’attente, souvent longue, de leur recours.
Pour citer ce document
Julien Long, 2023 : « La situation des mineur.es non accompagné.es en Loire Atlantique depuis 2014 », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 06/01/2023, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=862, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.862.
Autres planches in : Distinguer des groupes sociaux
Bibliographie
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Duvivier, É., « Quand ils sont devenus visibles... Essai de mise en perspective des logiques de construction de la catégorie de « mineur étranger isolé », Pensée plurielle, vol. 21, n° 2, 2009, p. 65-79. DOI : 10.3917/pp.021.0065
Long J., « Identifier les jeunes isolés étrangers depuis 1945 », Plein droit, vol. 133, n° 2, 2022, p. 11-14. DOI : 10.3917/pld.133.0013
Long J., « Grandir en exil : expériences juvéniles au cœur des trajectoires migratoires des mineurs non accompagnés venus d’Algérie et du Mali », Hommes & Migrations, vol. 1333, n° 2, 2021, p. 51-57. DOI : 10.4000/hommesmigrations.12580
Przybyl S., « Qui veut encore protéger les mineurs non accompagnés en France ? De l’accueil inconditionnel d’enfants en danger à la sous-traitance du contrôle d’étrangers indésirables ». Lien social et Politiques, n° 83, 2019, p. 58‑81. DOI : 10.7202/1066084ar
Senovilla Hernández D., « Analyse d’une catégorie juridique récente : le mineur étranger non accompagné, séparé ou isolé », Revue européenne des migrations internationales, vol. 30, n° 1, 2014 p. 17‑34. DOI : 10.4000/remi.6732
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