La trajectoire d’habiter de S. mineur isolé étranger dans la métropole nantaise
par Sabryn Daiki, Élise Roy et Théo Fort-Jacques
Ce travail a été conduit dans le cadre d’un stage mené au laboratoire CRENAU - UMR AAU 1563, sous la direction de Théo Fort-Jacques et Elise Roy, au sein du Groupe de recherche Des mondes communs : ethnographier l’être ensemble. La démarche est motivée par la volonté de donner une voix à des hommes et des femmes aux récits aussi singuliers que complexes. Ces personnes qui, ayant fui les conflits armés, la répression, l’extrême pauvreté, se retrouvent à Nantes, décident d’y rester et parfois finissent par l’aimer. Si leurs récits racontent l’apprentissage d’une urbanité nouvelle, leurs pratiques donnent à voir la ville autrement.
C’est six mois après son arrivée à Nantes que S., un mineur isolé d’origine Bengali, a bien voulu retracer chronologiquement les différentes étapes de sa trajectoire résidentielle dans l’espace métropolitain nantais. Nécessairement singulier, son chemin dessine une géographie intime dont les contours laissent néanmoins percevoir les conditions d’accueil à la nantaise.
Arrivée à Nantes
1 C’est en avril 2018 que S., 15 ans, quitte le Bangladesh pour rejoindre la France. Après un long voyage, il arrive à Paris à l’été 2018 (figure 1). Il est alors hébergé par un ami de sa famille pendant 15 jours, puis quitte la capitale pour rejoindre Nantes. En une après-midi et à l’occasion d’un parcours urbain dont il détermine le trajet (figure 2), il revient sur les lieux parcourus depuis son arrivée et pendant les six premiers mois qu’il a passé à Nantes.
Figure 1 - La trajectoire migratoire de S. depuis le Bangladesh jusqu’à Nantes
2 Fier de montrer les lieux où il a vécu (figure 2), il souligne l’importance de l’association Aemina (Service d'évaluation de la minorité et de la situation d’isolement des Mineurs Non Accompagnés), qui est le premier lieu dans lequel il se rend lors de son arrivée et dont il parle dans les termes suivants : « si un mineur vient à ici, il DOIT aller là-bas, tout le monde le sait » avant de poursuivre sur son choix de venir à Nantes « on m’a dit que Nantes est une grande ville où personne ne vient, qu’il y a des associations pour nous mineurs, qu’on allait m’aider ». Très vite, S. indique que, dans les réseaux de communication entre personnes exilées, Nantes s'érige comme « l’endroit où aller » si l’on est mineur. En effet, l’association Aemina le prend en charge dès son arrivée et tout le temps de sa procédure de détermination de minorité. Après une première nuit, il se fait un ami qu’il nomme « Le Malien » . Seul dans une grande ville européenne dont les codes sociaux lui sont incompréhensibles du fait de sa socialisation antérieure et de sa trajectoire migratoire, la compagnie de cet ami francophone lui est précieuse.
Figure 2 - La trajectoire d’habiter de S.
Des changements de lieux fréquents
3 Ensemble, ils habitent 15 jours dans un hôtel à Sainte-Luce. Dans une zone industrielle, face à la fenêtre de son ancienne chambre, il évoque son quotidien : « je restais longtemps dans ma chambre, sur YouTube parce qu’il y avait le wifi. [...] C’était propre, les personnes étaient gentilles ». Cet hôtel excentré représente un hébergement digne, mais constitue une forme d’isolement accentué par l’impuissance face à sa situation administrative : « quand on n’a pas les résultats on ne fait rien ».
4 Son parcours prend ensuite la direction du centre-ville. Près de la tour Bretagne, S. s’arrête devant un bâtiment dans lequel il habite quinze jours avec quatre autres mineurs isolés grâce à l’aide d’Aemina. Un appartement qu’il envisage comme la matérialisation de la sédentarité. Cependant, ce séjour de courte durée et l’interdiction d’utiliser la cuisine en fait un lieu encore difficilement appropriable : « j’aime cuisiner, mais l'association nous a dit de ne pas cuisiner. C’est dommage ».
5 Après un mois pris en charge par Aemina, il n’est pas reconnu mineur. Bouleversement qu’il évoque en ces mots : « si tu es avec une association, ils te donnent tout : de quoi manger, des vêtements, où dormir. Tout tout tout. Mais si tu n'es pas accepté tu perds tout ». À la suite de cette annonce, il habite avec « une famille Bengalie ». Mais après 20 jours de cohabitation, la famille quitte Nantes pour Paris, il se retrouve à nouveau sans toit.
6 Il explique alors que grâce à M., enseignante bénévole, il obtient une place dans le gymnase Emile Morice : « Là-bas on était beaucoup beaucoup de personnes ! [...] C'était trop difficile ». Cette étape révèle l’instabilité des trajectoires où chaque déménagement ne constitue pas nécessairement une amélioration. Alors que les conditions de vie dans le gymnase sont difficiles et les règles restrictives, la proximité du centre-ville lui offre de nombreuses opportunités comme l’accès à la médiathèque, des espaces de sociabilité, une offre commerciale abordable et la scolarisation avec l’école des Jeunes Etrangers Mineurs qui rythme ces journées.
7 Avec la fermeture des gymnases, M. lui trouve, grâce au réseau des hébergeurs solidaires, « quatre familles » chez lesquelles il loge encore au moment de son témoignage. Dans chacune des maisons, S. jouit d’un cadre de vie agréable, de confort et sécurité. Et même si c’est « un peu difficile de changer tout le temps », cela l’ancre un peu plus dans Nantes et lui offre progressivement un environnement familier : « hier j'étais à la piscine [...] Tu vois tous les Bengalis nagent. Et là j'étais content de nager » ou « chez mes familles on cuisine et on mange ensemble. J'aime bien cuisiner. Au Bangladesh j'aidais ma mère ».
8Au cours de ce parcours dans la métropole nantaise, S. rend compte de ce que peut être la trajectoire d’un jeune mineur arrivé à Nantes. Sa trajectoire résidentielle se caractérise par une mobilité permanente et des séjours très courts dans des lieux qu’il n’a ni les moyens ni le temps de s’approprier. La localisation de ces lieux constitue, tout autant que les conditions de vie qu’ils offrent, un premier pas vers l’insertion urbaine, en particulier le centre-ville de Nantes, espace ressource par excellence. Mais sans l’obtention d’un statut légal, impossible de prétendre à un réel ancrage. Bientôt, S. passera devant le juge pour contester le refus de sa minorité, et seule la projection dans un futur où il sera scolarisé et logé de façon permanente le réconforte.
Pour citer ce document
Sabryn Daiki, Élise Roy et Théo Fort-Jacques, 2021 : « La trajectoire d’habiter de S. mineur isolé étranger dans la métropole nantaise », in F. Madoré, J. Rivière, C. Batardy, S. Charrier, S. Loret, Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], eISSN : 2779-5772, mis à jour le : 18/02/2021, URL : https://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=572, DOI : https://doi.org/10.48649/asmn.572.
Autres planches in : Distinguer des groupes sociaux
Bibliographie
Babels , Entre accueil et rejet : ce que les villes font aux migrants, Lyon, Le Passager Clandestin, 2018.
Daiki S., Exilés de la ville : rencontre entre des hommes et leurs nouveaux lieux d’inscription, R oy E. et Fort -Jacques T (dir.), Nantes, Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes, 2019. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/view/index/identifiant/dumas-02873629
Dahdah A., Audren G., Bouillon F., « La ville (in)hospitalière : parcours scolaire et résidentiel d’une famille syrienne à Marseille », Espaces et sociétés, vol. 172-173, n° 1-2, 2018, p. 73-91. DOI : 10.3917/esp.172.0073
De Gourcy C., « Le retour au prisme de ses détours ou comment réintroduire de la proximité dans l’éloignement », Revue européenne des migrations internationales, vol. 23, n° 2, 2007, p. 159-171. DOI : 10.4000/remi.4184
Le Bars J., « Le coût d’une existence sans droit. La trajectoire résidentielle d’une femme sans-papiers », Espaces et sociétés, vol. 172-173, n° 1-2, 2018, p. 19-33. DOI : 10.3917/esp.172.0019
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Résumé
C’est six mois après son arrivée à Nantes que S., un mineur isolé d’origine Bengali, a bien voulu retracer chronologiquement les différentes étapes de sa trajectoire résidentielle dans l’espace métropolitain nantais. Nécessairement singulier, son chemin dessine une géographie intime dont les contours laissent néanmoins percevoir les conditions d’accueil à la nantaise.
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